Les fuites de l’enquête de l’OIAC sur Douma, 4ème partie : l'enquête de l'OIAC
Introduction
Au cours de l’année passée, l’OIAC a fait face à une série de fuites liées à l’enquête de la Mission d’établissement des faits (MEF) sur l’attaque chimique de Douma. L’OIAC a désormais publié sa propre enquête sur ces fuites. Celles-ci semblent provenir de deux anciens employés : l’inspecteur A, soit Ian Henderson, et l’inspecteur B, alias «Alex», qui est très certainement Brendan Whelan.
Dans les épisodes précédents de cette série, nous avons examiné les allégations associées à Whelan et Henderson et consulté des chimistes, des toxicologues et des experts en armes chimiques. Il est devenu clair que les revendications de Henderson et Whelan étaient erronées, surévaluées et parfois totalement trompeuses.
Nous avons également évalué ce qu’il aurait été nécessaire de faire pour réaliser un «false-flag» et pour fabriquer l’énorme quantité de preuves trouvées concernant cet incident. Une fois les informations disponibles prises en compte, il est clair que simuler l’attaque chimique de Douma aurait été effectivement impossible.
L’enquête de l’OIAC
En résumé, l’enquête de l’OIAC correspond avec les points clés que nous avons identifiés à l’aide d’informations librement accessibles. Ces deux employés ont non seulement eu un accès limité aux informations relatives à l’enquête de Douma, mais ont aussi activement induit les gens au sujet de leur statut et le travail qu’ils étaient autorisés à effectuer.
Ian Henderson, alias inspecteur A
Le rapport de l’OIAC indique clairement que Henderson n’était pas membre de la MEF. Il a aidé la MEF en collectant des données sur les sites concernés, notamment au niveau des bonbonnes des deux sites. Il a ensuite été chargé de procéder à un inventaire de ces informations et d’évaluer les autres informations qu’il serait nécessaire de collecter pour de futures études. L’enquête de l’OIAC indique qu’il n’a pas eu davantage de rôle officiel dans l’enquête de la MEF. Il est important de noter que cela signifie que Henderson n’aurait donc pas eu accès à une large partie des informations concernant l’attaque de Douma, y compris les enquêtes supplémentaires menées par la MEF.
« L’inspecteur A n’était pas membre de la MEF et son nom ne figurait pas dans les mandats délivrés pour les déploiements de la MEF. Il a apporté son soutien à l’équipe de la MEF enquêtant sur l’incident de Douma puisqu’il était au poste de commandement à Damas à l’époque des faits. Il est habituel que l’inspecteur en poste au commandement assiste la MEF. L’inspecteur A a joué un rôle secondaire mineur dans l’enquête MEF. Les enquêteurs ont constaté que l’Inspecteur A n’avait pas accès à toutes les informations recueillies par l’équipe de la MEF, y compris les entretiens avec des témoins, les résultats de laboratoire et les évaluations par des experts indépendants concernant les deux bonbonnes qui ont tous été communiqués à l’équipe après que l’inspecteur A ait cessé d’apporter son aide à l’enquête de la MEF. Il a accompagné la MEF sur certains sites d’intérêt identifiés par la République arabe syrienne. Il a aidé à prélever des échantillons environnementaux dans un hôpital et à prendre des mesures sur l’un des sites. Il a également aidé au traitement des bonbonnes. Il a ensuite été chargé de réaliser un inventaire des informations hautement protégées collectées sur ces bonbonnes et de déterminer les informations nécessaires à la poursuite des recherches. »
Il était déjà possible d’établir le statut réel d’Henderson en utilisant à la fois des déclarations de l’OIAC et des documents internes divulgués par WikiLeaks, en particulier un courrier électronique de Sébastien Braha, le chef de cabinet au directeur général de l’OIAC. Dans cet e-mail, Braha, qui avait appris que Henderson avait produit une « évaluation technique », demandait pourquoi quelqu’un qui n’était pas membre de la MEF avait effectué ce travail.
« Chers tous,
Désolé puisque j’étais en réunion pendant toute l’après-midi, j’ai une autre question pour laquelle j’ai besoin d’avoir des réponses, lors d’une prochaine réunion : sous l’autorité de qui ce travail a-t-il été mené, en dehors de l’autorité de la MEF et de son propre réseau hautement sécurisé, par quelqu’un ne faisant pas partie de la MEF ?
Cordialement
Sb »
Il est ironique que cet échange de courriels ait été divulgué dans le cadre d’une tentative de soutenir le récit de Whelan et Henderson, alors qu’il démontre clairement qu’Henderson n’était pas considéré comme faisant partie de la MEF par l’OIAC.
Bien qu’il ne fasse pas réellement partie de la MEF, et bien qu’on lui ait spécifiquement dit de ne pas le faire, Henderson a malgré tout décidé de procéder à son « évaluation technique ». Ce qui impliquait non seulement d’induire en erreur des membres haut placés de l’OIAC, mais aussi de mentir à l’université qui a effectué sa simulation. Henderson a déclaré à cette université qu’elle était officiellement engagée par l’OIAC pour le faire, ce qui n’était pas le cas. L’OIAC affirme même qu’Henderson était en congé lorsque cette simulation a été effectuée.
« À partir d’août 2018, l’inspecteur A, contre les consignes spécifiques données par le chef d’équipe de la MEF, a engagé des professeurs dans une université pour l’aider à produire son évaluation. Il a induit ces professeurs en erreur en leur disant qu’ils étaient officiellement engagés par l’Organisation pour mener à bien ce travail. En septembre 2018, plus d’un mois après avoir engagé les professeurs, l’inspecteur A a induit en erreur un officiel de haut niveau de l’OIAC, qui ignorait les instructions du chef d’équipe de la MEF à l’inspecteur A de ne pas contacter de tiers en dehors de l’organisation. L’inspecteur A l’a fait afin d’obtenir tardivement une autorisation écrite de travailler avec une université pour produire son évaluation. L’inspecteur A a déclaré au responsable de l’OIAC qu’il ne fournirait que du matériel disponible en open source à l’université. »
Au cours de cette période, Henderson a également mal géré des informations classifiées extrêmement sensibles. En plus de divulguer ces informations à des organisations externes sans autorisation appropriée, il a également demandé que celles-ci lui envoient un e-mail en utilisant son adresse Gmail personnelle. Compte tenu de la sensibilité de ce type d’informations, les mesures prises par Henderson pour les traiter semblent extrêmement imprudentes.
« L’inspecteur A s’est rendu deux fois à l’extérieur des Pays-Bas pour rencontrer les professeurs en personne, et les deux voyages ont été effectués alors que l’inspecteur A était en congé. L’inspecteur A a donné aux professeurs une clé USB qui, selon lui, ne contenait que des informations disponibles en open source. Selon les professeurs, ils n’ont jamais parlé à personne d’autre que l’inspecteur A au sujet de leur travail sur cette question. Les professeurs ont complété un rapport sur la bonbonne trouvée sur l’un des deux sites de Douma. À la demande de l’inspecteur A, les professeurs ont communiqué avec lui via son compte Gmail personnel. L’inspecteur A a utilisé le rapport des professeurs pour rédiger son évaluation, dont une version a finalement été publiée sur le site web du Groupe de travail sur la Syrie, la propagande et les médias. L’inspecteur A a également partagé plusieurs versions de son évaluation avec les professeurs à l’aide de son compte Gmail personnel. »
En résumé, le rapport de l’OIAC confirme les points clés de notre travail sur Henderson : son « évaluation technique » était un rapport réalisé sans autorisation, effectué avec des informations incomplètes et par quelqu’un qui induisait constamment ses interlocuteurs en erreur afin de réaliser ce qu’il voulait personnellement. Henderson lui-même a agi de façon cavalière avec des informations incroyablement sensibles et a trompé ceux qui l’entouraient, à la fois au sein de l’OIAC et dans des organisations externes, pour atteindre ses propres objectifs.
Brendan Whelan, alias inspecteur B
Nous avons précédemment examiné en détail les déclarations de Whelan. En bref, elles sont approximatives, extrêmement surévaluées et, parfois, totalement trompeuses. Comme pour Henderson, les conclusions de l’enquête de l’OIAC sur Whelan sont très similaires aux nôtres.
Le point le plus important de l’enquête de l’OIAC est que Whelan a quitté l’OIAC en août 2018, soit un mois après la publication du rapport intermédiaire. Whelan n’était pas présent lors de la majorité de l’enquête de la MEF ou n’avait pas accès à la majorité des informations de l’enquête. Bien que nous l’ayons formulé comme une simple hypothèse, l’enquête de l’OIAC le confirme bel et bien.
«À l’expiration de son contrat de travail avec l’Organisation, l’inspecteur B l’a quittée à la fin du mois d’août 2018. C’était peu de temps après la publication du rapport intermédiaire – avec lequel il était d’accord – et six mois avant la publication du rapport final de la MEF sur Douma. Au cours des sept derniers mois de l’enquête, la MEF a entrepris l’essentiel de son travail d’analyse, examiné un grand nombre d’entretiens avec des témoins et reçu les résultats d’échantillonnage et d’analyse. Malgré la séparation de l’inspecteur B de l’Organisation et son accord avec le rapport intermédiaire, il a continué de s’adresser aux membres du Secrétariat pour discuter d’informations confidentielles concernant l’enquête sur Douma qui était classée comme hautement protégée au moment de sa divulgation.»
Il s’agit d’une information absolument cruciale qui n’a précédemment été mentionnée dans aucun article sur les déclarations de Whelan. En excluant ce détail, des organisations telles que WikiLeaks, le Mail on Sunday et CounterPunch ont potentiellement induit leurs lecteurs en erreur sur la capacité réelle de Whelan à contester les conclusions de la MEF.
L’enquête de l’OIAC affirme également que Whelan a confirmé par écrit qu’il était satisfait du rapport intermédiaire qui a finalement été publié. Bien que l’OIAC n’apporte aucune preuve directe de cela, cela n’est pas entièrement surprenant. En effet, la seule conclusion ferme que l’on trouve dans le rapport intermédiaire tel qu’il a été publié à propos de l’attaque de Douma est qu’il n’y a pas eu d’agents innervants utilisés. Comme pour toutes les versions du rapport intermédiaire, il a été noté que des investigations complémentaires étaient requises.
« L’inspecteur B a participé à la rédaction du rapport intermédiaire sur l’incident de Douma. Après avoir fait part de certaines préoccupations initiales au sujet du projet de rapport intermédiaire, il a expressément confirmé par écrit qu’il – ainsi que d’autres membres de la MEF qui ont participé à la rédaction du rapport – était en accord avec le rapport intermédiaire qui a été publié. »
Les conclusions de l’OIAC au sujet de Henderson concernent également Whelan. Whelan a clairement fait des déclarations trompeuses sur le statut réel d’Henderson, peut-être dans le but de donner plus de poids à l’analyse d’Henderson. Il semble possible que le courriel de Whelan du 20 mai 2019, qui critique l’OIAC pour avoir expulsé Henderson et insiste sur le fait qu’il était membre de la MEF, a été écrit avec l’intention de le divulguer plus tard à l’appui de ses propres déclarations. Comme nous le savons désormais, ces affirmations étaient en tout cas fausses.
« L’intégrité personnelle et professionnelle d’Henderson a fait mouche sur le plus public des forums, internet. Un mensonge émis par l’OIAC, qui prétend que Ian ne faisait pas partie de l’équipe de la MEF de Douma, a été décisif pour le discréditer, lui et son travail.
Le démenti est en partie faux. Ian Henderson FAISAIT PARTIE de la MEF et il existe une abondance de documentation officielle, ainsi que d’autres preuves qui en témoignent. »
Conclusion
Même en utilisant des sources ouvertes, il a été possible de démontrer que les allégations d’un complot au sein de l’OIAC étaient trompeuses. Nous l’avons déjà expliqué dans une série d’articles examinant les affirmations de Henderson et Whelan, en consultant des chimistes, des experts en armes chimiques et des toxicologues.
L’enquête de l’OIAC appuie ces conclusions : Whelan et Henderson ont fait des allégations non étayées, trompé leurs collègues et menti à des organisations externes, mal géré des informations confidentielles sensibles et fait des allégations trompeuses sur l’attaque de Douma.
Il convient de laisser le dernier mot à M. Fernando Arias, Directeur général de l’OIAC :
«Les inspecteurs A et B ne sont pas des lanceurs d’alerte. Ce sont des individus qui ne pouvaient accepter que leurs opinions ne soient pas étayées par des preuves. Lorsque leurs points de vue n’ont pas pu gagner du terrain, ils ont pris les choses en main et ont manqué à leurs obligations envers l’Organisation. Leur comportement est d’autant plus flagrant qu’ils avaient des informations manifestement incomplètes sur l’enquête de Douma. Par conséquent, comme on pouvait s’y attendre, leurs conclusions sont erronées, mal informées et fausses. »
Un article de l’équipe d’investigation de Bellingat traduit par Syrie Factuel