Les fuites de l'enquête de l'OIAC sur Douma, 2ème partie : Il faut que nous parlions d'Henderson

Résumé

  1. Ian Henderson était un employé de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), mais l’organisation ne le considérait clairement pas comme faisant partie de la Mission d’établissement des faits (MEF).
  2. Ian Henderson a remis son rapport en dehors du protocole moins d’un jour avant la publication du rapport final de la MEF.
  3. Trois études d’ingénierie indépendantes commandées par la MEF contredisent les conclusions de Henderson.
  4. Le rapport d’Henderson est fondamentalement affaibli par l’hypothèse selon laquelle ces bonbonnes n’auraient pas pu tomber d’une altitude inférieure à 500 mètres.
  5. La méthodologie employée par Henderson pour ce rapport n’était pas adéquate pour cette tâche.

Dans le premier article de cette série, nous avons examiné les affirmations d’Alex et les documents publiés par WikiLeaks. Dans cet épisode, nous examinerons un rapport d’un groupe se décrivant comme une «sous-équipe d’ingénieurs» de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), dirigée par Ian Henderson.

Le rapport de Henderson examine l’impact de ce qui semble être deux bonbonnes de chlore associées à une attaque chimique survenue à Douma le 7 avril 2018. L’une de ces bonbonnes a été trouvée sur un balcon sur le site 2 et l’autre dans une chambre du site 4. Le rapport de Henderson a conclu qu’il est plus probable que les bonbonnes aient été placées manuellement plutôt que larguées depuis les airs. Bien que le rapport de Henderson affirme avoir utilisé les mêmes données que la Mission d’établissement des faits (MEF) de l’OIAC, il convient de souligner que trois études techniques indépendantes commandées par la MEF contredisent les conclusions de Henderson.

Le rapport de Henderson a été divulgué pour la première fois le 13 mai 2019, mais la Fédération de Russie semble y avoir eu accès bien avant cette date. Le 26 avril 2019, le représentant permanent de la Fédération de Russie auprès de l’OIAC a envoyé une critique du rapport final de la MEF à l’OIAC, dont certaines sections étaient remarquablement similaires au rapport de Henderson. Le Directeur général de l’OIAC a déclaré qu’il avait appris que ce rapport avait pu fuiter dès mars 2019.

Un examen plus attentif du rapport de Henderson permet d’expliquer pourquoi il n’est pas conforme aux conclusions de la MEF. Il est évident que la méthodologie de Henderson était fondamentalement erronée et qu’un postulat majeur a été émise quant à l’altitude depuis laquelle ces bonbonnes auraient pu tomber. Il semble également qu’il y ait plusieurs erreurs ou inexactitudes sur d’autres aspects du rapport.

Comme pour la première partie de cette série, nous avons inclus une liste des documents divulgués par WikiLeaks dans le but de rendre la chronologie de cet événement plus transparente.

  1. Le courriel de plainte initial d’Alex
  2. L’échange de courriels sur les niveaux de ppb
  3. Le premier brouillon du rapport
  4. Le second brouillon du rapport
  5. Le rapport intermédiaire de l’OIAC
  6. Le rappel sur la sécurité des informations
  7. Le compte-rendu de l’entretien avec les toxicologues
  8. Les courriels concernant le compte-rendu de la toxicologie
  9. L’échange de courriels au sujet du rapport de Henderson
  10. Le rapport d’ingénierie de Henderson
  11. Le rapport final
  12. Le mémo de Henderson
  13. Le second mail de plainte d’Alex

Qui est Henderson ?

Ian Henderson semble en effet avoir été un véritable employé de l’OIAC, et les documents divulgués indiquent qu’il a été déployé à Douma pour appuyer la MEF. Une note envoyée par Henderson, datée du 14 mars 2019, semble être un courriel dans lequel il décrit son travail. Il a déclaré qu’il avait visité les lieux à Douma et qu’il avait ensuite passé cinq semaines à diriger le poste de contrôle de l’OIAC en Syrie.

À son retour de Douma, Henderson prétend avoir été chargé «d’analyser et d’évaluer la balistique des deux bonbonnes». Henderson prétend avoir été ensuite «exclu des travaux», vraisemblablement par l’équipe de la MEF, mais avoir malgré tout choisi de continuer à travailler sur son rapport d’ingénierie.

« 8. À mon retour du déploiement de la MEF à Douma (et ma prise en fonction du poste de commandement en Syrie pour cinq semaines supplémentaires), j’ai été assigné à l’analyse et l’évaluation de la balistique des deux bonbonnes. Je m’y suis employé en considérant que j’étais clairement le membre le plus qualifié de l’équipe, puisque je m’étais rendu sur les sites à Douma et en raison de mon expertise en métallurgie et en ingénierie chimique (incluant la conception des contenants sous pression), en artillerie et en recherche et développement dans le domaine de la Défense.

9. Dans les semaines qui ont suivies j’ai découvert que j’avais été exclu de ce travail, pour des raisons qui n’ont pas été clarifiées. J’en ai fait part à la direction de l’OPB, au directeur de l’inspection et au chef de cabinet. J’avais également été assigné à d’autres missions. J’avais cependant été clair sur le fait que j’allais finir mon travail et le soumettre à la MEF.»

Extrait du mémo de Henderson du 14 mars 2019, prétendant avoir été exclu par l’ «équipe centrale» de la MEF.

Cependant, dans un échange de courriels antérieur concernant le rapport de Henderson, daté du 26 février 2019, Henderson mentionne seulement qu’il a été «chargé de contribuer à l’examen de “l’emplacement et des munitions”». Il déclare également explicitement qu’il a été exclu du travail parce qu’il ne fait pas partie de ce qu’il appelle «l’équipe centrale».

«En ce qui me concerne je me suis rendu sur trois sites (ou quatre si vous comptez le lieu de stockage final des deux objets) et j’ai écrit deux hypothèses pour le premier brouillon du rapport. J’ai également été chargé de contribuer à la relecture de «Localisation et munition». J’étais le seul métallurgiste de l’équipe, ainsi que le seul ingénieur en chimie avec une expetise sur la conception des contenants sous pression et (avec une expérience en artillerie et en recherche et développement dans le domaine de la Défense) sur la ballistique. J’avais donc espéré fournir des éléments utiles. Pourtant, comme je vous l’ait expliqué et comme je l’avais déjà expliqué à l’HOPB, au DoI et à l’ODG, pour certaines raisons j’ai découvert que j’avais été exclu de ce travail parceque je n’étais pas un membre de «l’équipe centrale».»

Extrait du courriel de Henderson daté du 26 février 2019, dans un échange de courriels concernant son rapport.

Dans ce précédent courriel de février, Henderson ne semble pas mentionner avoir été explicitement chargé de créer ce rapport. Sans plus d’informations, il est impossible d’identifier qui a dit exactement à Henderson de faire quoi ou pourquoi. Cependant, il affirme avoir reçu une certaine forme d’autorisation du directeur de l’inspection (DoI) afin d’avoir accès aux outils informatiques d’ingénierie pour continuer son travail.

En tant que tel, il semble que Henderson ait été autorisé à effectuer ce travail à un certain niveau de l’OIAC. Sans une connaissance détaillée de la structure interne de l’OIAC, il n’est pas possible d’évaluer si cette autorité était suffisante pour le travail qu’il entreprenait. Comme nous le verrons, il semble qu’au moins un membre haut placé de l’OIAC a été choqué en apprenant que Henderson avait créé ce rapport.

Le statut de Henderson en tant que membre de la MEF

La principale raison pour laquelle Henderson a pu être «exclu du travail» de la MEF est que l’OIAC ne le considérait pas comme faisant partie de l’équipe de la MEF elle-même, et parce que la MEF est considérée comme une mission hautement confidentielle. Bien qu’il ait été déployé à l’appui de la MEF à Douma et ait été clairement impliqué dans la collecte de preuves, cela ne semble pas le qualifier comme faisant réellement partie de la MEF aux yeux de l’OIAC.

L’OIAC a précédemment nié que Henderson faisait partie de la MEF, expliquant qu’il «avait été chargé d’aider temporairement la MEF à collecter des informations sur certains sites de Douma». WikiLeaks a également divulgué un e-mail interne de Sébastien Braha, chef de cabinet du directeur général de l’OIAC, se demandant pourquoi Henderson avait effectué ce travail «en dehors de l’autorité de la MEF … par quelqu’un qui ne faisait pas partie de la MEF?». Ce courriel n’a clairement jamais été destiné à être rendu public, et Braha n’avait donc aucune raison d’obscurcir le rôle de Henderson.

«Chers tous,

Désolé puisque j’étais en réunion pendant toute l’après-midi, j’ai une autre question pour laquelle j’ai besoin d’avoir des réponses, lors d’une prochaine réunion : sous l’autorité de qui ce travail a-t-il été mené, en dehors de l’autorité de la MEF et de son propre réseau hautement sécurisé, par quelqu’un ne faisant pas partie de la MEF ?

Cordialement»

Extrait d’un courriel daté du 28 février 2019, dans un échange concernant le rapport d’Henderson.

Malgré la distinction que fait Henderson entre les «membres de l’équipe de la MEF» et «l’équipe centrale,» et les plaintes d’Alex, il est clair qu’en tant qu’institution, l’OIAC considère que ce que Henderson décrit comme «l’équipe centrale» n’est autre que la MEF elle-même. Ce qui n’inclut donc pas Henderson.

Quand Henderson a-t-il soumis ce travail?

Henderson prétend avoir tenté de soumettre son document pour la première fois «à partir du 15 février 2019», cependant, au moment où nous écrivons ces lignes, la première preuve que nous avons de Henderson essayant de remettre son rapport semble dater du 27 février 2019, soit deux jours avant la date à laquelle le rapport final devait être publié. La personne à qui il s’adresse par courrier électronique, Boban Cekovic, semble avoir reçu des informations contradictoires sur la manière dont ce rapport devait être traité et propose de le vérifier.

«De Boban Cekovic, le 28 février 2019 à 10h57, à Ian Henderson. «Note pour l’évaluation»

Bonjour, Ian,

Désolé pour le temps de réponse j’étais absent du bureau pendant quelques jours.

Je me souviens que lors de notre dernier café nous nous sommes mis d’accord, ou vous avoir recommandé, d’envoyer un courriel à Sami et de me mettre en copie pour livrer votre travail.

Laissez-moi vérifier avec Sami et Sebastien à propos de ce dont vous aviez convenu auparavant et revenir vers vous.

Cordialement

Boban Cekovic

Le 27 février 2019 à 17h31, Ian Henderson a répondu :

Boban,

Mise à jour : J’ai pris un café avec Sami aujourd’hui. Il préfère que je vous envoie directement ma note de synthèse sur mon évaluation. Dites-moi quand serait le bon moment pour que je vous briefe et que je vous donne la note.

Cordialement, Ian »

Courriels entre Cekovic et Henderson, provenant d’un échange concernant le rapport de Henderson.

(Le .pdf des courriels ci-dessus, qui a été divulgué par WikiLeaks, contient également, assez bizarrement, un e-mail provenant d’un courriel totalement distinct concernant le compte-rendu d’une réunion avec des toxicologues. Cela ne semble pas faire partie de l’échange de courriels discutant du rapport de Henderson.)

Henderson a alors informé Cerkovic qu’il avait «lâché» le rapport au DRA. Le DRA est décrite dans plusieurs documents de l’OIAC comme «Documents, Registration and Archiving» («Documents, enregistrement et archivage») et il semble s’agir d’un service qui remplit ces mêmes fonctions. Henderson affirme avoir déposé le document le 28 février 2019 à 14 h45, la veille de la publication du rapport final de MEF. Cela n’aurait pas laissé à la MEF ou à d’autres parties prenantes suffisamment de temps pour l’évaluer avant la publication du rapport final de la MEF le 1er mars. Comme nous l’avons vu, le rapport de Henderson semble avoir surpris d’autres membres de l’OIAC.

Une fois la situation portée à son attention, Braha a demandé pourquoi Henderson avait donné un rapport si sensible au DRA et a demandé qu’il en soit retiré. Bien que certains aient tenté de décrire cela comme une dissimulation, les motivations de Braha semblent claires : l’enquête de Douma n’est pas une «mission de routine» et le DRA n’était pas censé détenir ce type de documents.

«Cher tous,

Merci beaucoup pour avoir partagé cette information avec moi. Quelques remarques de l’ODG :

1/ J’aimerais d’abord rencontrer Ian pour discuter de la situation, et non pas du document. Nous verrons ensuite comment gérer le document lui-même;

2/ (Et cela aurait même du être mon point 1, en réalité) merci de faire sortir ce document du DRA, puisque le DRA a justemment reçu la consigne de NE PAS s’occuper des missions inhabituelles, jusqu’à nouvel ordre. Et merci de supprimer toutes traces, s’il y en a, de la livraison/stockage/quoi que ce soit du DRA.

Cordialement,

Sb»

Courriel de M. Braha daté du 28 février 2019, provenant d’un échange concernant le rapport d’Henderson.

Le rapport de Henderson

Jusqu’à présent, la seule documentation qui a été publiée concernant les conclusions de de la «sous-équipe d’ingénieurs» de Henderson est ce rapport, qui est un document de synthèse : il n’inclut pas la simulation ni les grandes quantités de données associées à la simulation. En effet, même les dessins techniques dans les deux versions divulguées de son rapport sont de trop mauvaise qualité pour être lus correctement. Cela rend très difficile l’évaluation de la simulation elle-même.

Cependant, nous pouvons regarder les données et informations que Henderson a fournies dans cette simulation et les comparer avec ce que nous savons de l’attaque de Douma et de précédents exemples d’utilisation d’armes chimiques en Syrie. Une fois cela fait, il devient clair que Henderson a basé toute cette simulation sur un postulat majeur ainsi que sur plusieurs erreurs. Bien que sa simulation puisse être exacte avec les données fournies, une simulation basée sur un postulat ne donnera probablement pas de résultats fiables.

Le postulat majeur qui influence potentiellement l’analyse de Henderson est que les bonbonnes ne pouvaient pas tomber d’une altitude inférieure à 500 m. Bien que les hélicoptères opèrent généralement à une altitude plus élevée en Syrie, il est tout à fait possible que cet hélicoptère volait délibérément à moins de 500 mètres.

Bien qu’un hélicoptère volant à basse altitude prenne le risque de se mettre à la portée d’armes légères, il peut également être plus difficile à viser, surtout s’il volait de nuit, comme ce fut le cas à Douma. Des circonstances ont pu conduire cet hélicoptère à opérer en dessous de 500 mètres, et la décision de Henderson d’exclure cette possibilité n’est pas fondée sur des preuves, mais sur des hypothèses.

En effet, Henderson dit explicitement dans la section des hypothèses du rapport que ces bonbonnes devraient être considérées comme étant tombées d’une «altitude inconnue». En fixant arbitrairement l’altitude minimale à 500 mètres pour sa simulation, Henderson introduit non seulement un postulat fondamental dans son analyse, mais il ne teste même pas l’hypothèse énoncée dans la simulation.

«Hypothèse L2-1 : L’objet observé était d’une conception standard pour une bonbonne utilisée pour le stockage de chlore liquéfié. La bonbonne, entièrement ou partiellement remplie de chlore liquéfié, a été larguée depuis un aéronef (probablement un hélicoptère) depuis une altitude inconnue, et est tombée sur le toit en béton renforcé de la terrasse.

Hypothèse L4-1 : L’objet observé était d’une conception standard pour une bonbonne utilisée pour le stockage de chlore liquéfié, et s’assemblait avec un cadre en acier léger et des ailerons. La bonbonne, quasiment remplie de chlore liquéfié, a été larguée depuis un aéronef (probablement un hélicoptère) depuis une altitude inconnue, et est tombée sur le toit en béton renforcé de la chambre.»

Extraits des hypothèses de Henderson

Grâce à un réseau d’observateurs documentant les déplacements d’aéronefs depuis le sol syrien, nous savons même que deux hélicoptères Mi-8 Hip ont décollé de la base aérienne de Dumayr, suivis par deux autres hélicoptères du même type volant au-dessus de Douma approximativement au moment-même où cette attaque a eu lieu.

Graphique de l’enquête de l’équipe d’investigations visuelles du New York Times sur Douma

Analyse du site 2

L’évaluation de Henderson au sujet du site 2 est faussée dès le départ par l’altitude minimale depuis laquelle la bonbonne est censée être tombée. Étrangement, le rapport indique en fait qu’il était possible de simuler un impact qui était compatible avec le site 2, mais que la vitesse était significativement inférieure à celle des bonbonnes tombées de 500 m ou plus.

«L’analyse de la déformation des conteneurs pendant la pénétration du béton a montré que la forme du conteneur observée dans l’événement en question (impact présumé) ne pouvait être causé que par un impact, sous un angle de 20°, avec une vitesse initiale significativement plus faible que celles considérées dans la simulation.»

Extrait du rapport de Henderson

Le rapport semble également ignorer d’autres circonstances qui auraient pu affecter l’impact. Par exemple, le rapport envisage la possibilité d’un «impact intermédiaire» avec l’angle du mur de la terrasse. Cependant, ce scénario est rejeté par Henderson en raison de l’absence de dommages observés sur le reste de la bonbonne, ainsi que de l’idée selon laquelle cet impact intermédiaire n’aurait pas permis l’impact secondaire qui a créé le cratère. Le rapport ne précise pas si Henderson a réellement simulé ce scénario ou non.

«La possibilité que la déformation observée ait été causée par un impact intermédiaire avec (par exemple) le coin du mur de la terrasse, ne correspond pas avec l’absence quasi-complète de déformation sur le reste de la bonbonne ni avec l’impact suivant qui aurait provoqué la création du cratère (tel que mentionné dans le paragraphe 20).»

Extrait du rapport de Henderson

Il convient de noter que le rapport final de la MEF a simulé ce scénario et que les dommages sur la bonbonne semblaient bien correspondre à un impact intermédiaire.

«En observant les dommages sur le toit au dessus du cratère, les experts ont pu expliquer pourquoi la bonbonne ne pénétrait pas totalement à travers l’ouverture. On peut voir un large impact sur le toit et les murs au dessus du balcon. L’impact aurait réduit la vitesse de chute de la bonbonne et changé sa trajectoire en frappant le sol de béton du balcon et y causant ainsi un trou, mais sans disposer de suffisamment d’énergie pour tomber à travers.»

Extrait du rapport final de la MEF

Henderson rejette également l’idée que la bonbonne était équipée du harnais métallique retrouvé sur le toit.

« La présence sur la terrasse de restes tordus d’un harnais métalliques et d’ailerons, et un objet conique tronqué et relativement plat, ne correspondent pas avec l’apparence de la bonbonne. L’examen de la bonbonne n’indique pas qu’elle a été montée sur ces éléments, et ne montre également aucun signe qu’ils ont été arrachés à la bonbonne en raison de l’impact. »

Extrait du rapport de Henderson

Pourtant, Forensic Architecture a recréé ce harnais et a identifié que ce cadre non seulement pile la bonne taille pour la munition, mais est aussi pratiquement identique au cadre vu sur le site 4, ainsi qu’à de nombreux autres exemples de munitions au chlore utilisées en Syrie. Le fait que ce harnais métallique ait été attaché à la bonbonne était entièrement compatible avec l’hypothèse que Henderson était censé tester, mais qu’il a choisi d’ignorer.

Reconstitution du harnais métallique par Forensic Architecture

La déclaration de Henderson selon laquelle la bonbonne ne semblait pas avoir été équipée du harnais est tout aussi étrange : aucun des exemples de ce type de harnais métallique que nous avons identifié ne semble être boulonné, soudé ou fixé autrement à la bonbonne. Au contraire, le cadre est maintenu par la tension des bandes de fixation, ce qui ne laisse aucune trace évidente sur la bonbonne elle-même. La décision de Henderson de simplement ignorer ce harnais ne correspond pas avec ce que nous savons déjà de ce type de munitions.

Henderson déclare également que le cratère sur le balcon du site 2 est « plus conforme à celui attendu à la suite de l’explosion / énergétique (par exemple à partir d’un obus de mortier ou d’un obus de roquette d’artillerie) ». pour appuyer cette affirmation, il mentionne plusieurs éléments : la façon dont les barres d’armature dans le toit se sont déformées, un cratère d’apparence similaire sur un toit près du balcon (dont il ne confirme pas qu’il a été créé par une explosion), une forme de fragmentation « inhabituellement élevée, mais possible », et des signes d’écaillage du béton et de brûlures noires sous le cratère.

Le rapport final de la MEF est en désaccord direct avec ces conclusions. Ils ont également envisagé la possibilité que le cratère ait été causé par un engin explosif, mais ont conclu que c’était « peu probable compte tenu de l’absence de fragmentation primaire et secondaire caractéristique d’une explosion ». Nous savons également que la brûlure sous le cratère n’était probablement pas due à une explosion : le rapport final de la MEF comprend une interview où un témoin déclare que la brûlure noire sous le cratère est le résultat d’un feu allumé dans la pièce par une personne lors d’une tentative grossière pour la décontaminer.

Analyse de l’emplacement 4

Henderson a inclus dans son rapport un graphique qui montrait la bonbonne sur le site 4 superposé avec le trou dans le toit. Bien qu’il y figure «a des fins d’illustration», la manière dont il a été placé, avec l’avant de la bonbonne dépassant du trou, semble soutenir les affirmations de Henderson selon lesquelles cette bonbonne n’aurait pas pu passer à travers ce trou en gardant sa « valve encore intacte… et les ailerons déformés de la manière qui a été observée ».

Extrait du rapport final de la MEF

Bellingcat et Forensic Architecture ont travaillé ensemble pour recréer les bonbonnes en fonction des dimensions trouvées dans divers rapports de l’OIAC. Le rapport final de la MEF a noté que la hauteur des deux cylindres trouvés à Douma était de 1,4 m. Ils ont également noté que la largeur de la bonbonne à l’emplacement était de 0,35 m. De plus, le rapport final de la MEF indiquait que les dimensions du trou dans le toit étaient de 1,66 x 1,05 m. Nous avons évalué ces mesures et remarqué que le cylindre utilisé dans l’image ci-dessus semble être trop long d’environ 8 cm, une différence notable avec les mesures indiquées.

Il est également à noter que Henderson a utilisé une image de la bonbonne après déformation pour « illustrer » son travail, alors qu’il est beaucoup plus instructif de comparer la bonbonne avant déformation avec le trou. En bref, cette «illustration» ne convient pas pour comparer la forme de la bonbonne avec celle du trou. Le format utilisé dans ce rapport est potentiellement trompeur.

Nous pouvons également remettre en question la déclaration de Henderson selon laquelle « la déformation observée… était clairement cohérente avec une bonbonne ayant percuté à plat sur une surface horizontale, et non celle d’une bonbonne ayant pénétré à travers un cratère ».

Les images des bonbonnes avec leur cadre montrent clairement que les ailettes ont été pliées de manière à suggérer qu’elles ont traversé un espace, tandis qu’au moins une des bandes de fixation s’est rompue d’une manière qui indique qu’elle a été arrachée, ce qui aurait pu être le cas si la bonbonne était passée à travers un trou dans le toit.

En bas : emplacement 4. Notons la manière dont la bande de fixation la plus à l’arrière s’est rompue et s’est déformée. L’image du haut est un exemple d’une munition pratiquement identique trouvée à Alep en 2017.

Notons la déformation de l’étai, marqué en rouge, et de la bande de fixation.

Bien que Henderson ait remarqué la forte corrosion sur la bonbonne, il déclare que cette corrosion « ne se serait probablement pas dégradée à un tel point si elle avait été dans la chambre » et qu’il semble peu probable qu’une telle « bonbonne si vieille, rouillée et déjà endommagée » puisse être larguée par un aéronef.

Ceci impliquerait que la bonbonne a été recyclée d’une autre attaque, indiquant un « false flag » (« faux drapeau », expression qui désigne des opérations secrètes menées avec les signes de reconnaissance de l’ennemi afin de faire croire à sa responsabilité – ndt). Cependant, dans la première partie de cette série, nous avons démontré sans doute possible que le cadre de ce cylindre était initialement propre et non corrodé, et que la corrosion rapide était presque certainement due au contact du métal avec le gaz chloré, qui entraîne une corrosion rapide.

1: capture d’une vidéo de Forensic Architecture, 2: capture d’une vidéo de Forensic Architecture, 3: image prise le 8 ou le 9 avril, 4: image d’un reportage russe diffusée le 26 avril, 5: image d’un cylindre dans le rapport final de FFM, 6: image du cylindre dans le rapport final FFM après marquage, indiquant qu’elle a été prise le 3 juin 2018.

Méthodologie

La méthodologie du rapport décrit comment l’on a tenté de créer deux hypothèses clairement opposées qui ont ensuite été testées l’une par rapport à l’autre. Le problème avec cette méthodologie est que Henderson ne l’a pas réellement appliquée correctement.

Nous avons déjà vu que Henderson n’a même pas simulé les hypothèses qu’il avait énoncées. Au lieu de cela, il a fixé arbitrairement l’altitude minimale à partir de laquelle ces bonbonnes auraient pu tomber à 500 m. Il est également évident que, bien que Henderson ait examiné en détail l’impact des bonbonnes, il n’essaye apparemment pas d’examiner la probabilité réelle que les bonbonnes aient été placées manuellement.

En effet, le rapport ne fournit aucune information réelle étayant directement l’hypothèse selon laquelle les bonbonnes auraient été placées manuellement : il ne fournit que des informations susceptibles de nuire à la probabilité de chute des bonbonnes de hauteur. Comparer deux scénarios et décider que l’un d’eux est peu probable ne rend pas nécessairement l’autre plus probable.

Inutile de dire qu’il s’agit d’un oubli majeur. La réalité est que les circonstances qui permettraient de placer les bonbonnes manuellement (impliquant ainsi que l’attaque a été truquée) sont extrêmement complexes. Toute analyse de la façon dont les bonbonnes ont atteint leur emplacement doit en tenir compte.

À ce titre, nous avons décidé de terminer l’analyse de Henderson pour lui. La partie 3 de cette série examinera tout ce que nous savons de cet événement et identifiera exactement es conditions requises pour que l’attaque l’attaque de Douma ait été falsifiée.

Conclusion

En fin de compte, le rapport de Henderson est faussé dès le départ par un postulat majeur qui mine la validité de sa simulation. La confiance dans les conclusions de son rapport n’est pas renforcée par le fait qu’il a été rédigé sans autorisation appropriée, par une personne que l’OIAC ne considérait pas comme faisant partie de la MEF. Henderson a ensuite tenté de soumettre ce rapport, qui semble ne pas avoir été attendu, en dehors du protocole, et sans laisser le temps à quiconque de l’examiner raisonnablement. Ce document semble alors avoir été divulgué publiquement peu de temps après.

L’hypothèse de Henderson selon laquelle un hélicoptère n’aurait pas pu opérer à moins de 500 mètres est un postulat majeur sur laquelle il fonde sa simulation. Il n’y a aucune preuve directe de la hauteur de chute de ces bonbonnes, mais Henderson a décidé arbitrairement qu’elle ne pouvait pas être inférieure à 500 mètres.

Bien que Henderson ait inclus une méthodologie en apparence rationnelle, elle se révèle complètement inadaptée. Dans cette situation, la question de savoir comment les bonbonnes ont atteint leurs emplacements ne peut pas être sortie du contexte – tenter de le faire est trompeur. À aucun moment, Henderson ne considère en détail ce qu’impliquerait un placement manuel des bonbonnes. En effet, il ne s’occupe pas de cette hypothèse avant la conclusion, où il décide que c’est en fait le scénario le plus probable.

Enfin, il reste un problème criant : le fait que la MEF ait effectué trois analyses techniques indépendantes, réalisées par trois équipes indépendantes, qui contredisent toutes les conclusions de Henderson.

Un article de l’équipe d’investigation de Bellingat traduit par Syrie Factuel