Les fuites de l’enquête de l’OIAC sur Douma, 3ème partie : Il faut que nous parlions d'un «False flag»

Dans son rapport final, la Mission d’établissement des faits (MEF) de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) avait déclaré qu’il y avait des motifs raisonnables de penser que le 7 avril 2018, du gaz chloré avait été utilisé lors d’une attaque sur la ville syrienne de Douma. Malgré ces conclusions, des affirmations selon lesquelles l’attaque chimique de Douma avait été mise en scène continuent de se propager. Une théorie qui a été réalimentée par les fuites d’ «Alex», qui prétend être un employé de l’OIAC, et qui a divulgué un rapport semi-indépendant d’ingénierie réalisé en dehors de l’autorité de la MEF. Nous avons précédemment examiné en détail les affirmations d’Alex, ainsi que le rapport d’ingénierie, et avons découvert des problèmes importants avec les deux.

Comme expliqué dans la deuxième partie, le rapport d’ingénierie de Ian Henderson, qui, en outre, est entièrement basé sur un postulat majeur, fait abstraction d’une large partie du contexte. Ainsi, dans cet article, nous prendrons en compte ce contexte nécessaire et examinerons ce que signifierait réellement l’idée selon laquelle les bonbonnes ont été placées manuellement sur la scène de l’attaque. Inutile de préciser que dire que ces bonbonnes ont été très probablement placées manuellement implique que ce qui s’est déroulé à Douma était une sorte de «false flag» (« attaque sous faux drapeau », expression qui désigne des opérations secrètes menées avec les signes de reconnaissance de l’ennemi afin de faire croire à la responsabilité de celui-ci – ndt).

Il doit être noté que le narratif que la Russie et le gouvernement syrien proposent consiste simplement à dire qu’il n’y a pas eu d’attaque chimique du tout. Cette position a été rendue publique au cours d’une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies en formule Arria. La fédération de Russie et la délégation syrienne ont déclaré que cette attaque n’était qu’une mise en scène et qu’il n’y avait aucune preuve d’attaque chimique.

Mais aucun acteur majeur ne pense qu’un «false-flag» ait été mené en utilisant du chlore. En effet, si du chlore avait été utilisé, y compris pour un «false-flag», le rapport final de la MEF serait toujours valable, puisque son mandat consiste uniquement à établir si des armes chimiques ont été utilisées ou non. Nous allons donc examiner la théorie selon laquelle aucun gaz chloré n’était présent à cet endroit.

Le contexte

Il est tout d’abord utile de prendre en considération le contexte général. Au cours de la soirée du 7 avril 2018, des tirs d’artillerie quasi ininterrompus, des attaques incendiaires ainsi que des bombardements ont eu lieu à Douma.

Pour donner une idée de la difficulté de la situation, la poche de Douma a capitulé moins de 24 heures après cette attaque chimique, mettant fin aux combats dans cette zone. Les bombardements étaient si intenses que les secouristes étaient incapables de se déplacer à travers la ville. N’importe quel projet potentiel prévoyant de placer manuellement ces bonbonnes aurait ainsi du être réalisé sous ces intenses bombardements et dans ce chaos.

«D’après les témoignages, le Croissant rouge, la Défense civile syrienne et les secouristes postés aux centres médicaux n’ont pu intervenir immédiatement en raison des bombardements intenses qui se déroulaient à ce moment-là et à cause de la mise hors service des véhicules de secours.»

Extrait du rapport final de la MEF

Tous les modes opératoires imaginés ci-dessous auraient donc dû être menés au milieu du chaos d’une petite poche rebelle en plein effondrement sous l’attaque du gouvernement syrien et de ses alliés.

Les victimes

Afin de créer la scène telle qu’observée grâce aux données disponibles en sources ouvertes, il aurait fallu obtenir les corps d’au moins 34 personnes, hommes, femmes et enfants – possiblement via un massacre de masse. Il aurait fallu tuer ces victimes de manière à ne laisser aucune trace visible de traumatisme. Enfin il aurait fallu que tous ces corps soient frais pour donner une impression de lividité et de rigidité cadavérique.

Soit ces personnes auraient été tuées d’une façon à produire des écoulements mousseux, soit cette mousse aurait dû être ajoutée après-coup sur les corps de personnes déjà mortes. La présentation de la Russie et du gouvernement syrien aux Nations unies affirment que ces corps ont été transportés depuis un autre endroit et qu’aucune des personnes dans ce bâtiment n’a été affecté par un quelconque gaz. Il n’existe, évidemment, aucune image ou vidéo montrant un seul de ces 34 corps être déchargé des véhicules dans lesquels ils auraient été transportés. Aucun des témoins interviewés immédiatement après l’attaque par des journalistes ou par l’OIAC n’ont parlé de corps transportés à cet endroit.

«PREUVES INDÉNIABLES DE LA FALSIFICATION DE L’ATTAQUE CHIMIQUE DE DOUMA LE 7 AVRIL 2018

  • Les conclusions effectuées sur la base d’interviews avec des résidents permanents du bâtiment où les corps ont été retrouvés sont les suivantes :
  • Les témoins résidant de manière permanente dans le bâtiment et qui y sont restés tout au long de la journée où des produits chimiques toxiques sont supposés avoir été utilisés comme arme le 7 avril 2018 N’ONT PAS ÉTÉ AFFECTÉS.
  • D’après des preuves fournies par des témoins résidant de manière permanente dans le bâtiment, leurs enfants et leurs grand-parents qui sont restés dans le bâtiment tout au long de la journée où des produits chimiques toxiques sont supposés avoir été utilisés le 7 avril 2018 N’ONT PAS NON PLUS ÉTÉ AFFECTÉS.

Parmi les corps montrés dans la vidéos on ne trouve AUCUN DES RÉSIDENTS DU BÂTIMENT qui est supposé avoir subi une attaque chimique, ni des bâtiments voisins.

Ces faits prouvent de manière équivoque QUE L’INCIDENT DU 7 AVRIL 2018 ÉTAIT UN FAUX, et que les CORPS N’ÉTAIENT PAS CEUX des résidents du bâtiment NI MÊME de résidents du voisinage, MAIS ONT ÉTÉ APPORTÉS DEPUIS UN AUTRE ENDROIT pour la mise en scène.

On peut donc en déduire, qu’il est très probable que ces personnes ONT ÉTÉ TUÉES spécialement pour organiser cette falsification.»

Slide de la présentation au conseil de sécurité des Nations unies.

Certains pensent que toutes ces personnes ont été tuées par «l’inhalation de poussière». Ce narratif semble avoir été développé en premier par Robert Fisk qui, bien qu’il ait visité Douma, n’a en réalité pas pris la peine de chercher ou de visiter le bâtiment où l’attaque s’est déroulée. Il a au contraire trouvé un seul docteur à interviewer, qui a déclaré que les victimes cette nuit-là étaient mortes « d’hypoxie et d’un manque d’oxygène » et laisse entendre qu’une tempête de sable dans la zone en serait la cause. Il doit être noté qu’il n’y a précédemment jamais eu de scénario au cours de ce conflit où tant de gens sont morts dans un même bâtiment après avoir inhalé de la poussière. En effet, il n’a pas été possible de trouver un seul exemple d’un large nombre d’individus mourant dans un même endroit par inhalation de poussière de cette manière.

Contrairement au rapport final, le premier brouillon du rapport intermédiaire sépare les témoins en deux catégories : ceux interviewés à Damas et ceux interviewés dans le «Pays X». Il est notable que ces affirmations de nombreuses victimes tuées par inhalation de poussière (entre autres causes), proviennent toutes du groupe interviewé à Damas. En effet certains des secouristes interviewés à Damas ont déclaré n’être même pas au courant d’une quelconque attaque chimique à Douma ou en Syrie. Pour le dire franchement, penser qu’un seul secouriste en Syrie puisse ne pas être au courant d’attaques chimiques est naïf, les attaques chimiques ayant été un élément répété et crucial du conflit syrien.

Les attaques à l’arme chimique identifiées par la Commission d’enquête internationale indépendante sur la république arabe syrienne par les Nations unies

Les déclarations des témoins à l’OIAC faites à Damas ne semblent correspondre ni avec ce que l’on sait de l’attaque à Douma, ni sur ce que l’on sait du conflit en général. Considérant la nature exceptionnellement répressive du gouvernement syrien, cela n’a rien de surprenant.

De manière plutôt étrange, les secouristes syriens interviewés par le ministère russe de la Défense peu après l’attaque ont déclaré que « tous ceux qui ont reçu leur assistance médicale avaient des blessures ordinaires, des fractures et des blessures par balles ou fragmentation. » Aucun de ces secouristes ne mentionnent des blessures ou des décès liés à l’inhalation de poussière. Ce qui contredit directement ce qu’a écrit Fisk, et permet d’illustrer la confusion entre les narratifs proposés par ceux qui ne croient pas qu’une attaque chimique ait eu lieu.

Si l’on considère le chaos de cette nuit, et les autres pré-requis que nous avons explorés ci-dessus, l’idée que toutes ces personnes ont été tuées par un autre phénomène que l’inhalation de chlore et que le bâtiment a été préparé pour donner les apparences d’une attaque au chlore dans l’espace d’à peine quelques heures repousse les limites de l’absurdité.

Les témoins

Viens ensuite la question des témoins. Les auteurs d’un quelconque «false-flag» auraient dû s’assurer que les proches et les familles de ceux qui avaient été assassinés ou dont les corps avaient été utilisés ne parlent pas. Voilà qui aurait été incroyablement difficile puisqu’il n’y avait aucun moyen de contrôler la population de Douma, juste après cet événement, où les gens sont immédiatement devenus des déplacés ou des réfugiés.

Il aurait également fallu s’assurer que les témoins qui ont parlé à la MEF décrivent des détails suggérant une attaque chimique, telles que des victimes avec des difficultés respiratoires, et l’odeur de chlore à proximité de l’attaque. Il aurait fallu que certains racontent avoir vu un nuage verdâtre près du site 2. La création de ce narratif aurait dû être réalisée après la chute de Douma, dans le chaos d’une expulsion massive de personnes en dehors des régions contrôlées par le régime.

Aucun des témoins, pas même ceux interviewés à Douma, ne semble avoir mentionné quoi que ce soit à propos d’un groupe de personnes détenues et assassinées. Aucun ne parle de corps transportés sur le site 2. Il semble extrêmement improbable que tout ceci ait pu arriver sans qu’aucun témoin, qu’il soit de Damas ou du «Pays X», n’ait mentionné le transport des corps qui sera décrit deux ans plus tard dans la présentation russe au Conseil de sécurité des Nations Unies.

Les journalistes qui, contrairement à Robert Fisk, se sont donnés la peine de visiter le bâtiment où la plupart des victimes sont mortes ont remarqué une odeur irritante. Ils ont même rencontré et interviewé au moins un témoin de premier plan expliquant comment l’attaque s’était déroulée.

«J’étais assis au sous-sol quand c’est arrivé. La maison a été touchée vers 7h du soir. On a couru dehors, et les femmes et les enfants ont couru à l’intérieur. Ils ne savaient pas que la maison avait été touchée depuis le haut et qu’elle était remplie de gaz. Celui qui est rentré dans la maison est mort immédiatement. J’ai couru dehors en ayant des vertiges.»

Une fois encore il doit être noté que ce témoin ne parle à aucun moment de l’assassinat de quelqu’un ni même de corps transportés à l’intérieur du bâtiment. Il déclare simplement que des gens ont couru vers l’intérieur du bâtiment.

Enfin, il aurait également fallu que quelqu’un fabrique des rapports repérant deux hélicoptères survolant les airs au-dessus de Douma précisément au moment où l’attaque chimique a eu lieu.

Graphique de l’enquête de l’équipe d’investigations visuelles du New York Times sur Douma

Les munitions

Une fois les corps placés et l’arrivée des premiers secours et des journalistes, la bonbonne aurait du être également mise en place. Obtenir et modifier ces bonbonnes avec les normes requises aurait constitué une tâche difficile. À notre connaissance, ce type extrêmement distinctif de bonbonne de chlore avec un harnais métallique extérieur ne semble pas avoir déjà été utilisé dans la Ghouta orientale, dont Douma fait partie, avant 2018.

La seule autre attaque dont ces munitions auraient pu être issues est une attaque chimique survenue le 25 février 2018, où des hélicoptères auraient été impliqués, et une attaque de mars 2018. Les autres rapports d’attaque chimique dans la Ghouta orientale dont Bellingcat a connaissance ont été menées avec d’autres méthodes de largage, en l’occurrence une roquette IRAM.

Comparaison d’une roquette IRAM (à gauche), vue pour la première fois à Damas, avec une bonbonne de chlore modifiée (à droite), qui semble n’avoir jamais été signalée dans la région de Damas avant 2018.

Si ces bonbonnes et leur harnais métallique n’ont pas été obtenus au cours d’une attaque antérieure, il reste alors deux options : elles auraient pu être introduites clandestinement après d’autres attaques en Syrie, où être fabriquées à partir d’une bonbonne de chlore non-utilisée, qui en Syrie sert à purifier l’eau. Si elles ont été fabriquées, il faut alors admirer les compétences et l’attention du détail de l’artisan : les bonbonnes sont, sur à peu près tous les aspects, identiques aux munitions utilisées dans de précédentes attaques à d’autres endroits du pays. La seule différence avec les munitions précédentes semble être le design des anneaux de suspensions. Ces bonbonnes de chlore modifiées ont été utilisées dans de nombreuses autres attaques au chlore à d’autres endroits de la Syrie, et identifiés par de multiples enquêtes indépendantes de la MEF de l’OIAC, du Mécanisme d’enquête conjoint (MEC) et d’autres.

Si les bonbonnes provenant d’une attaque antérieure avaient été utilisées, il aurait alors fallu qu’elles soient déjà déformées de façon à correspondre avec un largage depuis les airs à travers les bâtiments des sites 2 et 4. Si ces bonbonnes n’avait pas été pré-déformées, il aurait donc fallu les endommager de façon à ce que leur forme corresponde avec une chute de plusieurs centaines de mètres de haut. Il ne s’agirait pas simplement d’ajouter quelques bosses : ces bonbonnes ont été lourdement déformées d’une manière qu’il aurait été difficile d’imiter, si ce n’est impossible, en utilisant des outils basiques.

Dommages sur la bonbonne du site 2 vus dans le rapport final

Dommages sur la bonbonne du site 4 vus dans le rapport final

L’idée de construire une plate-forme de plusieurs centaines de mètres de haut à Douma, puis d’en faire tomber les bonbonnes est assez comique – et défie toute logique. Ces dégâts devraient être consistants avec les impact observés sur les sites 2 et 4 de manière à duper trois équipes indépendantes d’experts en ingénierie missionnés pour le rapport final de la MEF. Le harnais métallique de la munition du site 2 aurait ûu être arraché, déformé, puis mélangé avec d’autres débris.

L’un des plus gros problèmes posés par la réutilisation d’une bonbonne provenant d’une attaque antérieure est qu’elle aurait probablement déjà été fortement corrodée après être rentrée en contact avec du chlore.

Quand du gaz chloré rencontre de l’humidité il réagit en formant des acides chlorhydriques et hypochloreux, chacun d’eux étant corrosif pour le métal. La corrosion sur les pièces métalliques des sites 2 et 4 a été repérée par la MEF. C’est d’autant plus clair lorsque l’on examine la bonbonne du site 4. Immédiatement après l’attaque la bonbonne et le harnais n’étaient clairement pas corrodés, cependant, le temps que les enquêteurs ne marquent la bonbonne le 3 juin 2018, elle était fortement rouillée. Ce qui rend extrêmement peu probable qu’elle aient été réutilisées après une attaque antérieure : ces bonbonnes auraient montré des signes avancés de corrosion dès les premières images. Ce n’est pas le cas.

1 : Capture d’écran de la vidéo de Forensic Architecture, 2 : Capture d’écran de la vidéo de Forensic Architecture, 3 : Image prise le 8 ou le 9 avril, 4 : Image d’un reportage russe diffusé le 26 avril, 5 : Image du cylindre dans le rapport final de la MEF, 6 : Image du cylindre après marquage dans le rapport final de la MEF, indiquant qu’elle a été prise le 3 juin 2018.

Placer ces bonbonnes aurait été une tâche bien plus complexe que ce que l’on pourrait penser. Ce type de bonbonne pèse entre 60 et 80 kg lorsqu’elles sont vides, en fonction de leur capacité. Ce qui rendrait la montée des escaliers du site 2 suffisamment difficile. Pour ce qui est du site 4, le harnais endommagé présent sur la bonbonne aurait rendu l’objet extrêmement encombrant pour être déplacé par les escaliers et à travers la porte, et ce sans laisser apparemment de traces évidentes. Même le témoin de premier plan qui a déclaré avoir été dans le bâtiment et qui accuse les rebelles, déclare que la maison a été «touchée» et ne dit rien à propos de qui que ce soit plaçant une quelconque bonbonne.

En bref, il n’y a aucun moyen crédible d’obtenir ou de fabriquer ces bonbonnes de sorte qu’elles correspondent non seulement avec les dommages observés, mais aussi avec la progression de la corrosion observée sur les lieux.

Les cratères

Dans le scénario d’un «false-flag» il aurait également fallu créer deux cratères. La MEF a estimé que les cratères présents sur la scène correspondaient avec l’impact sur les bonbonnes. La MEF a également noté que le cratère du site 2 ne semble pas avoir été créé par une explosion, en raison de l’absence de fragmentation primaire et secondaire. Henderson lui-même remarque que ce manque de fragmentation est étrange, bien qu’il a continué à croire que le cratère ait pu être créé par une explosion. Une fois de plus, l’artisan qui est supposé avoir créé ses cratères devait être incroyablement doué, puisqu’ils auraient été suffisamment réussis pour fausser trois analyses indépendantes des impacts.

Celui qui aurait placé ces cylindres aurait également été doté d’une prévoyance presque surhumaine pour bien penser à endommager le bord du mur de la terrasse. Les dégâts observés à la fois sur la bonbonne et sur le mur auraient, là aussi, dû être cohérents avec l’idée que la bonbonne avait d’abord touché le bord de la terrasse avant d’atteindre le sol. Là aussi les dégâts auraient dû fausser trois analyses indépendantes de l’impact des bonbonnes. Des journalistes citoyens syriens, qui dans ce cas de figure auraient collaboré avec l’auteur de la mise en scène, sont pourtant totalement passés à côté de ce détail crucial dans toutes leurs images et vidéos. C’est en fait dans un reportage russe tourné sur le site qu’il a été repéré pour la première fois.

«En observant les dommages sur le toit au dessus du cratère, les experts ont pu expliquer pourquoi la bonbonne ne pénétrait pas totalement à travers l’ouverture. On peut voir un large impact sur le toit et les murs au dessus du balcon. L’impact aurait réduit la vitesse de chute de la bonbonne et changé sa trajectoire en frappant le sol de béton du balcon et y causant ainsi un trou, mais sans disposer de suffisamment d’énergie pour tomber à travers.»

Extrait du rapport final de la MEF

Chimie

Toujours dans l’hypothèse d’un «false-flag», les échantillons, ainsi que la corrosion des bonbonnes et d’autres objets métalliques dans la chambre, auraient donc également dû être fabriqués. Des échantillons crédibles et cohérents auraient été extrêmement difficile à simuler.

Les composés retrouvés par la MEF sur les sites 2 et 4 qui indiquent la présence de chlore ne peuvent être balayés comme de simples «traces» en faible quantité, comme nous l’avons déjà expliqué. Ces traces correspondent exactement avec ce que l’on s’attendrait à trouver dans ce genre de situation – pour être tout à fait exact, il s’agit en réalité de la découverte de différents produits chimiques indiquant la présence de chlore. Se pose aussi la question d’autres produits chimiques tels que les chlorures inorganiques (qu’Alex ne mentionne pas), qui ont été retrouvés dans des quantités bien plus élevées que de simples traces.

Il y a aussi les chlorures de bornyle et le trichlorophénol retrouvés dans des échantillons de bois de conifères, que l’on ne retrouve pas naturellement dans l’environnement. Les chlorures de bornyle peuvent être produits par l’interaction du phosgène ou du chlorure de cyanogène avec du bois de conifères. Le trichlorophénol quant à lui peut être produit par l’interaction de l’hypochlorite de sodium avec le bois de conifères, le composant principal de la javel à base de chlore. Cependant l’interaction du gaz chloré avec du bois produit les deux.

Sans même savoir où l’OIAC allait effectuer ses contrôles, les auteurs de la mise en scène auraient eu à faire des efforts extraordinaires pour simuler ces échantillons. Quel que soit le processus qu’ils auraient mis en œuvre, il aurait non seulement dû produire des résultats parfaitement cohérents avec l’exposition au gaz chloré, mais également contaminer les échantillons autour des deux sites, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. En résumé, il aurait été extraordinairement compliqué de créer entièrement une scène crédible où l’on retrouverait les échantillons prélevés par l’OIAC.

Le scénario de loin le plus susceptible de produire du chlorure de bornyle, du trichlorophénol et la multitude d’autres composés est celui où du gaz chloré était présent dans l’environnement. Il doit être noté qu’il s’agit ici d’une vulgarisation de la totalité du procédé et qu’une explication détaillée du chlorure de bornyle et du trichlorophénol peut être lu à la page 13 du rapport final de la MEF. Ces résultats sont contraires à l’affirmation russe et syrienne selon laquelle il n’y a eu aucune attaque chimique. Même dans l’hypothèse d’un «false-flag» utilisant du gaz chloré, les conclusions de la MEF seraient donc toujours valables, du chlore ayant malgré tout été utilisé comme arme chimique.

Auto-Réfrigération

Les auteurs d’un tel «false-flag» auraient également dû être au courant et en mesure de résoudre le problème de l’auto-réfrigération. Pour faire simple, lorsque les conteneurs de chlore se déchargent, ils deviennent très froids, suffisamment pour geler de l’eau. Ce qui cause une accumulation de givre sur la partie externe de la bonbonne.

Exemple d’auto-réfrigération d’une munition de chlore, avec la permission d’Al-Jazeera

La bonbonne du site 2 n’apparait que dans une seule vidéo (contenu extrêmement sensible) de la nuit du 7 avril, et l’aspect blanc brillant de la bonbonne indique qu’elle a bien subi ce processus et qu’elle est couverte de givre.

Une partie de la bonbonne immédiatement après l’attaque (à gauche) et à une date ultérieure (à droite). L’image à gauche a été éclaircie pour rendre les détails plus visibles.

Un tel effet aurait pu être réalisé en déchargeant réellement un réservoir de chlore, auquel cas il y a bien eu une attaque au chlore, ou en faisant en sorte, d’une manière ou d’une autre, que le réservoir donne l’apparence d’avoir subi ce processus, bien que la façon dont ceci aurait pu être accompli est floue, notamment en raison du fait que l’effet aurait eu à disparaître en quelques heures pour être crédible. Les auteurs auraient donc du faire l’effort de simuler ce processus, uniquement pour qu’il soit aperçu dans quelques images d’une unique vidéo.

Conclusion

Actuellement, les gouvernements russe et syrien, ainsi qu’Alex, pensent tous que du chlore n’a pas été utilisé comme arme, malgré l’immense quantité de preuves indiquant que du chlore était en réalité bien présent à cet endroit.

Un «false-flag» aurait été extrêmement complexe à planifier et à exécuter, reposant soit sur l’assassinat de nombreuses personnes (qu’aucun témoin n’évoque), ou la découverte d’un nombre inédit d’individus morts d’une «inhalation de poussière». Ces corps auraient ensuite dû être transportés vers le bâtiment et déchargés. Un tel déchargement qui se serait donc déroulé sans que personne ne prenne de photo ou de vidéo. En effet aucun des supposés témoins de cet acte présentés par la Russie au Conseil de sécurité des Nations Unies le 20 janvier 2020 ne semble avoir été interviewé par aucun journaliste dans aucun média, ni même par une quelconque organisation internationale telle que l’OIAC, après l’attaque. Ce plan aurait également du être exécuté pendant d’intenses bombardements et alors que les lignes de front de cette petite enclave sous contrôle rebelle s’effondraient.

La mise en scène, de la fabrication des bonbonnes jusqu’aux échantillons chimiques, aurait du être réalisée avec une haute maîtrise, suffisante en tout cas pour tromper non-seulement la MEF, mais aussi les nombreux témoins sur le site de l’attaque. Les cratères et les bonbonnes auraient dû être parfaitement cohérents avec l’hypothèse de deux bonbonnes larguées depuis les airs et frappant les toits afin de fausser trois analyses indépendantes menées par la MEF.

Ou plus simplement, le soir du 7 avril 2018, au cours d’une attaque qui correspond totalement avec de nombreuses autres attaques documentées en Syrie, un hélicoptère de plus a largué deux bonbonnes de chlore. Ces bonbonnes étaient modifiées pour être larguées plus efficacement depuis les airs, d’une manière qui correspond avec de nombreuses autres attaques au chlore. L’une a atterri sur un bâtiment et s’est écrasée à travers le toit. L’autre a également frappé un toit mais sans totalement y pénétrer, déversant alors son chlore à travers la maison en dessous, et tuant ainsi des dizaines d’hommes, de femmes, et d’enfants.

Un article de l’équipe d’investigation de Bellingat traduit par Syrie Factuel