Le Berlin Group 21, les mails d'Ivan et les théories du complot sur les armes chimiques

En mars dernier un nouveau site Web pour un groupe formé par deux anciens diplomates et un universitaire de l’Ivy League préoccupés par les activités de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) était mis en ligne.

Le Berlin Group 21 (BG21) publiait sur sa page d’accueil une déclaration dans laquelle l’organisation se disait « profondément préoccupé » par une enquête de l’OIAC sur une attaque chimique contre la ville syrienne de Douma en 2018 qui a tué plus de 40 civils. Parmi les signataires figuraient d’éminents journalistes, des universitaires, une ancienne membre du Congrès américain et candidate à la présidence ainsi qu’un ancien dirigeant de la Royal Navy britannique.

Le groupe était « représenté » par trois personnalités éminentes : José Bustani, Richard Falk et Hans von Sponeck, précisait le site.

José Bustani est ancien directeur général de l’OIAC, Richard Falk, professeur émérite de droit international à Princeton et Hans Von Sponeck, ancien secrétaire général adjoint de l’ONU et coordinateur humanitaire pour l’Irak.

Pourtant, quelques semaines plus tard, la création du BG21, ainsi que la genèse de son communiqué, suscite toujours de nombreuses interrogations.

Le logo de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), lors d’une session extraordinaire à La Haye, Pays-Bas, le 26 juin 2018. REUTERS / Yves Herman

En Avril, Newlines magazine a révélé que le BG21 était une organisation servant de « façade » au Working Group on Syria, Propaganda and the Media (Groupe de travail sur la Syrie, la propagande et les médias, ou WGSPM). La publication de mails a également permis de dévoiler qu’un membre du WGSPM se vantait d’avoir organisé la promotion médiatique du BG21 auprès d’un individu qu’il prenait à tort pour un officier du renseignement russe.

Le WGSPM a été largement critiqué pour les prises de position de ses membres, un groupe d’universitaires britanniques et de blogueurs. Le groupe a, entre autres, prétendu que des attaques chimiques en Syrie auraient été organisées par des rebelles syriens, malgré une montagne de preuves pointant au contraire la responsabilité du régime syrien, comme pour des centaines d’autres attaques chimiques.

Le BG21 a ensuite publié un communiqué affirmant que les accusations selon lesquelles il n’était qu’une façade du WGSPM étaient « fausses » et qu’il était « entièrement indépendant de tout autre groupe ou organisation ». Ces affirmations ont également été rejetées lors d’entretiens téléphoniques avec Hans von Sponeck et Piers Robinson, cofondateur du WGSPM qui, comme beaucoup d’autres membres du groupe, a relayé des théories du complot liées aux événements en Syrie et ailleurs.

Pourtant, d’autres éléments des conversations de Bellingcat avec Sponeck et Robinson révèlent ce qui semble être un contact étroit entre ces deux derniers à propos des activités du BG21 et de l’engagement autour de son communiqué. En résumé :

  • Piers Robinson déclare à Bellingcat qu’il avait accès au site web du BG21, bien qu’il ait déclaré ne pas l’avoir mis en place, ne pas le contrôler et ne pas être impliqué dans la publication de son contenu. Il a également déclaré qu’il avait examiné le communiqué à différents stades de sa rédaction, mais que cette implication n’avait été en aucune façon significative et n’était « pas un secret », bien qu’elle n’ait pas été rendue publique.
  • Hans von Sponeck déclare à Bellingcat que Robinson l’a aidé à identifier des personnes pour signer le communiqué. Mais Robinson affirme que toute l’aide qu’il a apportée l’a été à titre personnel plutôt qu’en tant que membre du WGSPM. Sponeck assure que de nombreuses personnes ont été consultées au sujet du communiqué.
  • Sponeck, l’un des représentants du BG21, semble ne pas être au courant des principaux détails du rapport de l’OIAC sur Douma, bien que la raison d’être de son organisation soit d’exprimer des « préoccupations » au sujet de la manière dont cette enquête a été menée. Il assure qu’il cherchait simplement des éclaircissements et que le but du BG21 est de faire en sorte que les scientifiques soient entendus et que l’intégrité de l’OIAC soit préservée. Il ajoute que la responsabilité du communiqué n’incombe qu’à lui-même, Falk et Bustani et qu’il n’y a aucune coordination avec des groupes comme le WGSPM.
  • Lord West, membre de la commission du renseignement et de la sécurité du parlement britannique, déclare qu’il avait été invité à signer le communiqué par Peter Ford, ancien ambassadeur du Royaume-Uni en Syrie, actuellement sur la liste des coprésidents de la British Syrian Society (BSS), un lobby dirigé par le beau-père du président syrien, Bachar al-Assad. La manière dont Ford a pris connaissance de l’existence de ce communiqué n’est pas établie. Lord West assure également qu’il n’était pas au courant des liens de Ford avec la BSS. Ford a précédemment déclaré que son rôle à la BSS n’était pas rémunéré.
  • Paul McKeigue, un autre co-fondateur du WGSPM, affirme dans des courriels adressés à une personne qu’il croyait être un officier du renseignement russe que Robinson et lui ont participé à l’organisation de la promotion médiatique du BG21. Bien qu’il ait dit plus tard qu’il avait enjolivé la réalité dans sa correspondance, son objectif réel reste flou. Robinson souligne également que McKeigue affirme avoir exagéré la réalité dans sa correspondance.
  • La Courage Foundation, un fond établi par Wikileaks qui vise à soutenir les lanceurs d’alerte, a également publié et promu le communiqué ainsi que d’autres documents au même moment que le BG21. L’implication de la Courage Foundation dans la publication de ce communiqué n’est pas établie et l’organisation n’a pas répondu à notre demande de commentaires.

Nader Hashemi, directeur du Center for Middle East Studies et professeur agrégé de politique du Moyen-Orient et de l’Islam à l’Université de Denver, déclare à Bellingcat que si Robinson ou l’un de ses collègues du WGSPM étaient d’une quelconque manière impliqués avec le BG21 ou dans la rédaction de son communiqué, de sérieuses questions se poseraient sur la légitimité et l’indépendance des deux organisations. D’éventuelles connexions également préjudiciable pour le BG21 étant donné le passé conspirationniste de Robinson, a-t-il ajouté.

Scott Lucas, professeur émérite de politique internationale à l’Université britannique de Birmingham qui a suivi de près la controverse autour de Douma confirme et ajoute que la réputation universitaire de Robinson a été « enterrée » par ses déclarations conspirationnistes comme sur les « mises en scène de massacres » de civils tués dans des attaques chimiques.

Pour saisir cette histoire dans toute sa complexité, il faut d’abord comprendre comment un mystérieux individu nommé « Ivan » a pu pousser un co-fondateur du WGSPM à se livrer au sujet de ce qu’il prétendait être la portée et l’impact du WGSPM.

Les mails d’Ivan

Paul McKeigue a obtenu bien plus que ce qu’il espérait en entamant une correspondance avec « Ivan ».

Cofondateur du WGSPM, McKeigue est également professeur d’épidémiologie génétique à l’Université d’Édimbourg. McKeigue en est venu à croire qu’Ivan, qui lui avait envoyé un e-mail à l’improviste, était un officier du renseignement russe.

Après de premiers échanges prudents, McKeigue commence à lui partager des informations au sujet des activités de certaines figures du WGSPM. Il affirme rapidement à Ivan que le fondateur du WGSPM, Piers Robinson, a « travaillé au cours des derniers mois pour coordonner cette initiative. (https://www.heise.de/tp/features/Glaubwuerdigkeit-und-Integritaet-der-OPCW-wiederherstellen-5078562.htmlhttps://www.heise.de/tp/features/Glaubwuerdigkeit-und-Integritaet-OPCW-wiederherstellen-5078562.html)».

Un lien qui renvoie vers le communiqué du BG21 à propos de l’enquête de l’OIAC sur Douma, communiqué publié par le site allemand Telepolis.

Ivan répond alors qu’il ignorait que ce communiqué sur l’OIAC était l’œuvre de Robinson et demande pourquoi ni Robinson ni McKeigue ne s’y sont pas associés publiquement.
« Piers pense qu’il est préférable pour lui de rester dans les coulisses, car notre WGSPM fait quelque peu l’objet de controverses et nous avons été diffamés par les médias », répond McKeigue, qui précise également que : « Le groupe qui diffuse le communiqué s’appelle désormais le Berlin 21 Group ».

Robinson, ancien professeur de journalisme à l’Université de Sheffield et co-fondateur du WGSPM, a longtemps fait l’objet de polémiques pour avoir relayé des théories du complot concernant, entre autres, la Syrie.

Il a notamment fait l’éloge d’un ouvrage suggérant que des explosifs avaient été utilisés pour détruire le World Trade Center le 11 septembre et a affirmé que le COVID-19 était un « virus peu mortel », comparable à la grippe saisonnière. Il a également déclaré que la bannière « Mission Accomplished » présente derrière le président George W. Bush lorsqu’il déclarait en 2003 la fin des principales opérations de combat en Irak avait été « superposée » sur les images de l’événement et qu’elle n’y était pas réellement présente.

Le WGSPM, quant à lui, a mis en doute le fait que la Russie a réellement produit le Novitchok. Sur la Syrie, Robinson et le WGSPM affirment depuis longtemps que des attaques chimiques auraient été mises en scène par des groupes rebelles opposés à Assad, avec l’aide des secouristes de la Défense civile syrienne, les Casques blancs. L’un de leurs membres a même affirmé que les Casques blancs sont une « cible légitime ».

Dans une autre partie des échanges de courriels, McKeigue semble souligner d’avantage sa participation ainsi que celle du WGSPM aux activités de BG21. « Nous organisons une promotion médiatique », a-t-il écrit en faisant apparemment référence au communiqué du BG21.

Un courriel entre Paul McKeigue et « Ivan ». Mail fourni par la CIJA.

Ce courriel a été envoyé le 4 mars, une semaine avant l’enregistrement du site web du BG21, le 11 mars.

Malheureusement pour McKeigue, Ivan n’est pas un officier du renseignement russe, mais un membre de la Commission pour la justice internationale et la responsabilité (CIJA), une ONG qui a documenté les violations des droits humains en Syrie.

McKeigue avait auparavant cherché à enquêter sur les activités du CIJA ainsi que sur son fondateur, William Wiley, qu’il croyait à tort être un agent de la CIA. Certains de ces mails, dont l’existence a déjà été rapportée par la BBC, sont intégrés dans cet article.

McKeigue semble également discuter de l’importance de faire signer le communiqué du BG21 par des personnalités telles que Lord Alan West, un ancien amiral de la marine britannique, car il « n’est pas un ami de la Russie. Ni du président Assad. »

McKeigue se vante également de la bonne impression qu’il pense avoir faite lors d’une apparition devant les parlementaires britanniques et de son espoir que des enquêtes soient lancées sur la manière dont les services de renseignement du pays ont informé le Premier ministre sur l’attaque de Douma.

Il présente Julian Lewis, président de la Commission du renseignement et de la sécurité du parlement britannique, comme étant « un sceptique indépendant d’esprit venu nous entendre, moi, Piers et David Miller [un autre membre du WGSPM] parler devant la Chambre des communes l’année dernière ».

Courriels entre Paul McKeigue et «Ivan». Mails fournis par la CIJA.

Lewis a répondu à Bellingcat qu’il n’était arrivé qu’à la fin de cette réunion et qu’il n’était pas au courant de ce qui a pu être dit avant sa présence. Il déclare également qu’il n’était pas au courant de l’initiative du BG21, qu’il n’a été en contact avec aucun membre du WGSPM, et qu’il n’a pas non plus été invité à signer le texte du BG21.

Lord Alan West, ancien chef de la Royal Navy britannique et membre de la même Commission du renseignement et de la sécurité, a en revanche bien signé ce texte. Il déclare à Bellingcat qu’il y a été invité par Peter Ford, ancien ambassadeur du Royaume-Uni en Syrie et désormais coprésident de la British Syrian Society (BSS), un groupe de pression fondé et coprésidé par Fawaz Akhras, le beau-père du président syrien Bachar al-Assad.

Bellingcat a pu joindre Peter Ford par téléphone pour lui poser des questions sur le BG21 et son communiqué. Tout en confirmant son identité, il assure que nous nous adressons à la mauvaise personne car il en sait très peu sur le BG21. Et d’ajouter :  « Je sais qui vous êtes. Ne m’appelez plus », avant de raccrocher. Précédemment Ford avait écrit que l’attaque chimique de Douma avait probablement été fabriquée et a déclaré que les Casques blancs étaient des « auxiliaires des djihadistes ». Il a également déclaré qu’il n’était pas payé pour son travail à la BSS.

Lord West, qui a déjà qualifié le président Assad d’ « épouvantable », assure qu’il n’était pas au courant des affiliations de Ford avec la BSS. Il déclare également n’avoir pas lu tous les rapports de l’OIAC dans leur intégralité, mais pense que s’il existe un doute sur les travaux du groupe, ils doivent être examinés attentivement. Il ne savait pas que l’équipe d’enquête et d’identification (IIT), un groupe de l’OIAC distinct de la mission d’établissement des faits (FFM) qui a rédigé le rapport sur Douma, réexamine actuellement l’incident et a pour mandat d’attribuer la responsabilité des attaques. Informé de cette enquête de l’IIT, Lord West exprime son approbation.

Il ajoute qu’il ne sait rien des travaux du WGSPM ni des commentaires antérieurs de Piers Robinson. Lorsqu’une sélection de ces propos lui est transmise, il déclare :  « Je ne suis pas du tout un grand fan des théoriciens du complot. C’est proprement affolant, en ce qui me concerne.»

Et selon les courriels de McKeigue, le WGSPM ne se concentrait pas uniquement sur le parlement britannique.

Un courriel envoyé par Paul McKeigue à Ivan. Mail fourni par la CIJA.

McKeigue assure ainsi que Robinson travaille comme chercheur pour le parti politique allemand Die Linke et que deux des membres du parti au Bundestag, Heike Hänsel et Sevim Dağdelen, les avaient « aidés en posant des questions parlementaires au ministère allemand des Affaires étrangères sur la fraude au sein de l’OIAC. »

Dans le même e-mail, McKeigue étale ses théories sur le mondialisme, sur le financier et philanthrope George Soros et soutient que Bellingcat fait partie d’un réseau de « fabricateurs de narratifs sur la Syrie ».

Ni Die Linke, ni Hänsel ni Dağdelen n’ont répondu aux demandes de commentaires de Bellingcat à propos des courriels de McKeigue les concernant avant publication. Robinson n’a pas non plus répondu à nos questions concernant ce point spécifique envoyées par mail. McKeigue, cependant, a par la suite affirmé qu’il avait exagéré la réalité au cours de sa correspondance avec Ivan.

Les courriels de McKeigue ne permettent pas de savoir si des élus allemands ont participé à la rédaction du communiqué du BG21. Mais la publication des courriels, et des détails qu’ils contiennent – la connaissance préalable des activités du BG21, les plans pour organiser en coulisses sa promotion médiatique et le partage d’informations avec un faux officier du renseignement russe – semblent bien avoir suscité des inquiétudes au sein même du BG21.

Une demande de correction

Peu après la publication par Newlines d’un article établissant une connexion entre le BG21 et le WGSPM un texte est apparu sur le site du BG21 déclarant que les affirmations de cet article étaient « entièrement fausses ».

Le texte du BG21 assure que « le Berlin  Group 21 a été créé par l’Ambassadeur José Bustani, le Professeur Richard Falk et Hans von Sponeck et est entièrement indépendant de tout autre groupe ou organisation ».

« Une demande de correction a été adressée aux journalistes concernés », conclut le texte.

Les deux auteurs de l’article de Newlines ont en effet reçu le 20 avril un courriel affirmant que leurs informations étaient « entièrement fausses » et demandant une correction.

Mais ce mail ne venait pas d’un représentant désigné du BG21.

Le courriel a en fait été envoyé par Paul McKeigue, qui affirmait que : « Le BG21 et son communiqué sont indépendants de moi et du WGSPM. »

Sponeck explique à Bellingcat qu’il a demandé à McKeigue de répondre à l’article de Newlines et de préciser qu’il n’avait rien à voir avec le BG21. Il a également contacté les auteurs lui-même quelques jours plus tard.

Sponeck a partagé le courriel qu’il avait envoyé à McKeigue avec Bellingcat. Il assure que c’était là son premier contact avec McKeigue et qu’il ne le connaissait pas auparavant. Le courriel indique : « Le BG21 et son communiqué sont totalement indépendants de vous et du WGSPM ».

Il contenait également la note que Sponeck comptait envoyer lui-même aux journalistes.

Bellingcat a contacté McKeigue pour lui poser des questions sur ses échanges avec Ivan et pour savoir si le BG21 était une façade du WGSPM, comme l’affirme l’article de Newlines. McKeigue n’a pas répondu avant la publication.

Cependant, dans une déclaration publiée sur le site Web du WGSPM après que sa correspondance avec «Ivan» a été révélée pour la première fois, McKeigue assure qu’il a « embelli » certains aspects pour donner l’impression d’un réseau coordonné « qui en réalité n’existe pas ».

La raison pour laquelle McKeigue aurait cherché à embellir le contenu de ses mails à Ivan n’est pas tout à fait clair, bien que sa déclaration semble suggérer qu’il s’agissait peut-être d’obtenir plus d’informations de la part d’Ivan. McKeigue ajoute que le WGSPM « n’existe pas en tant qu’entité autre qu’un groupe restreint de personnes qui corédigent occasionnellement des articles ou commentent les brouillons des uns et des autres ».

Pourtant, les connexions et la correspondance entre un membre clé du WGSPM et au moins un membre du BG21 ne semble pas faire partie des aspects qui ont été exagérés par McKeigue.

« Je ne suis l’idiot utile de personne »

Joint par téléphone par Bellingcat, Sponeck déclare qu’il a bien échangé avec Robinson au sujet de l’initiative du BG21. « Rien de plus, rien de moins que des échanges, des demandes de réactions, comme nous le faisons avec d’autres personnes », résume-t-il dans un premier temps.

Pourtant, il affirme ensuite que Robinson a bien été en contact « assez régulièrement » avec lui et l’a aidé à « répondre à des questions » car il n’est pas un spécialiste de la Syrie. Selon Sponeck, il lui a indiqué des documents qu’il devrait lire, Robinson étant quelqu’un vers qui il se tournait lorsque « des arrangements devaient être mis en place », sans plus de précisions.

Sponeck affirme avoir consulté un certain nombre de personnes au sujet du communiqué du BG21, Robinson n’étant que l’un d’entre eux. Interrogé à ce sujet par Bellingcat au cours d’un autre entretien téléphonique, Robinson répond : « Oui, j’ai pu le faire, mais pas de manière significative ». Il assure également « ne pas avoir aidé à la rédaction [du communiqué] » mais « examiné certains points ». Sponeck confirme que Robinson a aidé à identifier des signataires potentiels.

Pourtant, selon Sponeck, les allégations selon lesquelles le BG21 était en réalité composé de plus de trois personnes (von Sponeck, Bustani et Falk) voulant s’assurer que l’OIAC est protégée contre les tentatives d’instrumentalisations et qui avaient demandé le soutien d’individus tout aussi concernés, sont maladroites.

Capture d’écran de la réaction publiée sur le site web du BG21 suite à l’article de Newlines.

Lorsque Sponeck a décidé qu’il voulait publier une déclaration sur le site du BG21 rejetant les allégations de Newlines, c’est pourtant bien à Robinson qu’il a demandé de l’aide pour la mettre en ligne. Robinson déclare à Bellingcat qu’il a effectivement accès au site web du BG21, mais qu’il ne l’a pas mis en place, qu’il ne le gère pas et qu’il ne s’occupe pas de la mise en ligne des contenus. Sponeck n’aurait été en mesure d’avoir accès au site que quelques semaines après son lancement. Robinson assure également qu’il connait l’identité de la personne qui a enregistré le site, un citoyen américain, un détail que Sponeck ignorait.

Malgré cela, Sponeck rejette l’idée que l’implication de Robinson ait pu être « significative » ou qu’il serait manipulé par des personnes ayant des arrière-pensées. « Je vous demanderais d’imaginer ne serait-ce qu’un moment que Bustani, Falk et moi aurions été induits en erreur ou que nous n’aurions pas insisté sur les normes de contrôle les plus élevées dans nos efforts pour trouver la vérité sur une question aussi complexe que celle de Douma », ajoute-t-il par courriel.

Sponeck dit qu’il savait que Robinson avait été accusé d’être complotiste par certains médias, y compris sur des questions telles que le 11 septembre, mais qu’il ne voyait aucun problème à le consulter au sujet de l’initiative du BG21. Interrogé sur certaines des activités précédentes de Robinson et du WGSPM, il répond : « Je ne sais même pas ce que font Piers Robinson et son groupe de travail. Je ne sais pas. Je n’ai pas besoin de le savoir. » Sa principale préoccupation, selon lui, reste le communiqué du BG21 et « non ce que les gens peuvent faire dans un autre contexte ».

Sponeck souligne également qu’il n’a jamais échangé avec aucune représentation diplomatique à ce sujet. McKeigue déclare pourtant dans ses échanges avec Ivan que Robinson et d’autres membres du WGSPM se sont coordonnés avec trois ambassades russes, à Londres, New York et Genève. McKeigue a en outre noté dans ses mails qu’un diplomate russe à Genève nommé Sergey Krutskikh « a occasionnellement transmis des informations au WGSPM via Piers ».

Joint par Bellingcat, Robinson insiste sur le fait que McKeigue affirme lui-même avoir exagéré la réalité dans ses échanges avec Ivan et assure que le « décrire comme un contact ou comme quelqu’un qui peut fournir des informations par le biais de la Fédération de Russie est tout simplement inexact. Ce n’est en aucun cas mon rôle ou ma disposition, et je ne le ferais pas. »
Robinson ajoute par mail que « supposer que les échanges avec [Ivan] sont factuels est imprudent de votre part et suggérer que soit Paul McKeigue soit le WGSPM sont derrière le Berlin Group 21 ou son communiqué est faux. Les deux sont indépendants aussi bien vis-à-vis de Paul McKeigue personnellement que vis-à-vis du WGSPM. »

« En ce qui me concerne, comme Hans et moi l’avons expliqué, je suis fier d’avoir pu apporter aide et soutien à Hans von Sponeck, José Bustani et Richard Falk ; cela a vraiment été un honneur. Je l’ai fait à titre personnel et non en tant que représentant de groupes ou d’organisations dans lesquels je suis également impliqué. Je fais partie des nombreuses personnes qui apportent aide et soutien. Suggérer que mon rôle et ma fonction irait au delà de cela est faux. »

Sponeck précise qu’il n’a eu « aucunement l’impression que Piers Robinson ait tenté de le pousser dans un camp idéologique ou fanatique » et affirme n’être l’« idiot utile de personne ». Il réitère que les principales préoccupations du BG21 sont d’assurer l’intégrité de l’OIAC et de permettre aux scientifiques d’être écoutés, ajoutant que lui-même, Bustani et Falk sont des individus « honnêtes ». S’il sentait que les gens essayaient de « jouer à des jeux » ou avaient des « intentions… qui ne sont pas connues du public », il « abandonnerait très rapidement ».

Les rapports sur Douma

Lorsqu’il a discuté de l’attaque de Douma avec Bellingcat, Sponeck a cependant concentré ses préoccupations non pas sur les détails précis de l’incident, mais sur le désaccord qui s’est produit entre Brendan Whelan, un ancien employé de l’OIAC, et l’organisation elle-même.

C’est justement la partie de l’histoire qui a le plus été sujette à la controverse et à la désinformation. Les documents divulgués à Wikileaks par Whelan en 2019 semblaient montrer un désaccord au sein de l’OIAC au sujet de l’existence de preuves suffisantes pour affirmer que du chlore avait été utilisé dans l’attaque de Douma. Cependant, il est apparu depuis que les documents divulgués fournissaient une image incomplète de ce qui s’était réellement passé au sein l’OIAC.

Whelan faisait initialement partie de la mission d’établissement des faits (FFM) de l’OIAC et a contribué à son rapport intermédiaire, qu’il a approuvé après avoir initialement pu exprimer ses préoccupations. Whelan a ensuite quitté l’OIAC, sept mois avant que l’enquête ne soit terminée, période qui représenterait l’essentiel du travail, selon l’OIAC. Ce travail ultérieur était, toujours selon l’OIAC, hautement protégé et Whelan n’y avait pas accès. Whelan ne s’est pas non plus rendu sur place à Douma car il n’avait pas reçu la formation appropriée pour le faire, toujours selon l’OIAC.

Une enquête indépendante a corroboré cette version des événements et le chef de l’OIAC a qualifié les affirmations de Whelan et Ian Henderson – un autre employé de l’OIAC qui ne faisait pas partie de la mission principale de la FFM mais qui a affirmé que des détails avaient été enlevés du rapport final – comme « erronés, mal-informés et faux. »

Le chef de l’OIAC a également noté que Whelan avait, après avoir quitté l’organisation, renvoyé d’anciens collègues vers l’une des notes d’information du WGSPM qui postulait qu’une « mise en scène de massacre » avait eu lieu à Douma. Whelan a qualifié cet article de « très intéressant et perspicace ».

Malgré cela, Sponeck déclare : « Ce qui m’a profondément influencé, m’a profondément ému et m’a bouleversé, c’est la lecture des deux rapports intermédiaires et du rapport de la mission d’établissement des faits qui omettait de faire référence au fait qu’il y avait des désaccords dans l’équipe. Cela m’a beaucoup inquiété et [je me suis demandé] dois-je essayer d’en savoir plus ? ».

Sponeck ne savait pas que Whelan avait lui-même validé, par écrit, le rapport intermédiaire.

Lorsqu’il a été contacté pour un documentaire de la BBC Radio en début d’année, Whelan a refusé de dire s’il avait reçu de l’argent de Wikileaks à la suite de sa divulgation des documents de l’OIAC. Il n’a pas non plus répondu aux demandes de commentaires de Bellingcat sur le même sujet l’année dernière. WikiLeaks avait pourtant publié sur Twitter une telle offre juste après l’attaque de Douma. Sponeck n’était pas non plus au courant de ce détail.

Sponeck souligne le fait que plusieurs anciens membres de l’OIAC ont signé son communiqué, qui serait donc digne de confiance. Pourtant, tous ces individus avaient, pour autant que Bellingcat puisse en juger, quitté l’OIAC au moment où elle a commencé son enquête sur l’utilisation d’armes chimiques en Syrie.

 

En bref, après nous être entretenus avec Sponeck et Robinson, il ressort qu’au moins un membre du WGSPM avait accès au site du BG21, qu’il avait identifié des signataires potentiels et a joué au moins brièvement un rôle en examinant le communiqué avant qu’il ne soit publié.

Cependant, Robinson dit que toute aide qu’il a fournie au BG21 n’est pas « un grand secret » et que cette aide a été apportée à titre personnel plutôt qu’en tant que membre d’une autre organisation.

Des éléments en partie contredits par les échanges de Paul McKeigue avec « Ivan », même si depuis leur révélations, McKeigue a rétropédalé en assurant avoir embelli la réalité.

Le WGSPM cherche depuis longtemps à utiliser la crédibilité d’universitaires pour donner du poids à ses théories sur les attaques chimiques en Syrie, bien qu’aucun de ses membres n’aient une quelconque qualification officielle pertinente. Selon McKeigue lui-même, les articles négatifs publiés dans la presse ont contribué à miner la crédibilité du WGSPM.

Le Berlin Group 21 a réussi à rassembler un groupe de personnalités éminemment respectables pour signer son communiqué. Mais si le BG21 a reçu des informations et des commentaires d’individus qui ont l’habitude de relayer des théories du complot et de diffuser des informations incomplètes et fausses sur l’attaque de Douma, la fiabilité des prochaines informations publiées par le BG21 serait remise en cause.

Les mails de Paul McKeigue soulèvent également des questions évidentes au sujet de certains élus politiques, tels que ceux de Die Linke qui se seraient donc engagés avec les membres du WGSPM au sujet de l’attaque de Douma.

Bellingcat a tenté de contacter Richard Falk, José Bustani, la Courage Foundation, Die Linke, Sevim Dağdelen et Heike Hänsel. Aucun n’a répondu avant la publication de cet article.


La version originale de cet article a été publiée le 14 mai 2021
, traduit en français par Syrie Factuel.Eoghan Macguire a contribué à cet article.