La traque en sources ouvertes de la bombe au sarin préférée du régime syrien
Au cours du long conflit syrien, Bellingcat a enquêté sur de nombreuses attaques chimiques ainsi que sur la nature des armes déployées au cours de ces attaques, à l’aide de données en sources ouvertes. Des bonbonnes de chlore modifiées aux roquettes sol-sol fabriquées localement et remplies de sarin, Bellingcat a ainsi dévoilé la nature et l’origine de ces armes chimiques, confirmant l’implication du gouvernement syrien dans plusieurs attaques chimiques.
Après une série d’attaques au sarin sur Latamné et Khan Cheikhoun en mars et en avril 2017, Bellingcat a utilisé des preuves en sources ouvertes pour reconstituer lentement la nature de la bombe utilisée dans ces attaques. Bellingcat avait d’abord publié ses propres conclusions en novembre 2017 et a continué depuis à amasser les preuves découvertes. Après la publication, le 8 avril, du rapport de l’Équipe d’enquête et d’investigation (IIT) de l’Organisation pour l’interdiction sur les armes chimiques (OIAC) détaillant le type de bombe utilisée les 24 et 30 mars 2017 dans des attaques au sarin à Latamné, nous avons désormais la confirmation qu’il s’agissait de la bombe chimique syrienne M4000.
Dans cet article, nous examinerons les éléments et les processus utilisés par Bellingcat pour identifier cette même munition et ce que cela révèle de l’utilisation du sarin comme arme chimique en Syrie, des années après la destructions supposée de ses stocks d’armes chimiques, au lendemain des attaques au sarin du 21 août 2013.
La chasse est ouverte
C’est peu après les attaques au sarin du printemps 2017 que l’équipe d’investigation de Bellingcat a commencé à reconstituer l’identité des bombes utilisées dans ces attaques, en les remontant pour ainsi dire pièce par pièces.
Après l’attaque au sarin du 4 avril 2017 sur Khan Cheikhoun, nous avons tenté d’identifier le type de munition utilisé, mais nous disposions alors de peu d’éléments. Des sources locales décrivaient la bombe comme ayant été larguée par un avion, mais seules quelques pièces métalliques avaient été identifiées sur le site de l’attaque, avec parmi elles un bouchon de remplissage. Ce bouchon correspondait à la manière dont on remplit une bombe au sarin, à travers ce genre de bouchon, mais aucune correspondance avec ce bouchon ne pouvait être trouvée en sources ouvertes à cette époque.
Bien que Bellingcat ait commencé a enquêter sur l’attaque du 4 avril 2017 sur Khan Cheikhoun presque immédiatement, nos investigations sur l’attaque de Latamné survenue le 30 mars 2017 ont commencé plus tard. À ce moment, l’essentiel de notre temps et de nos ressources étaient consacrés à la continuation de notre travail sur le crash du MH17. Les attaques chimiques en Syrie étaient quant à elles devenues quelque chose de quasiment banal, presque chaque semaine apportait son lot de nouveaux témoignages d’attaques chimiques quelque part dans le pays. Mais l’attaque de Khan Cheikhoun, son lourd bilan humain et les images choquantes partagées sur internet juste après ont attiré à nouveau notre attention sur l’utilisation des armes chimiques en Syrie.
Ce qui nous a particulièrement interpellé sur l’attaque du 30 mars à Latamné est la déclaration faite le 4 octobre par Ahmet Uzumcu, le directeur de l’OIAC, à l’AFP, indiquant que des échantillons de sarin avait été prélevés par l’équipe de la Mission d’établissement des faits (MEF) de l’OIAC sur le site de l’attaque du 30 mars.
Notre premier article sur l’attaque de Latamné, publié le 26 octobre 2017, analysait des éléments disponibles en sources ouvertes et d’autres informations au sujet de l’attaque. Quelques organisations, dont la Commission d’enquête internationale indépendante sur la Syrie des Nations unies et Human Rights Watch, avaient déjà mentionné cette attaque, et les symptômes inhabituels observés sur les victimes, sans pour autant parler explicitement de l’usage du sarin. Des groupes soutenant les cliniques et les hôpitaux locaux ayant reçu des patients après l’attaque, tel que le directorat de la santé d’Hama et l’Union des Organisations de Secours et Soins médicaux (UOSSM) avaient également publié des déclarations juste après l’attaque au sujet des symptômes correspondant à l’exposition au sarin, mais là aussi sans affirmer explicitement que du sarin avait bien été utilisé.
Mais aucune de ces organisations n’a examiné le site de l’impact ou les débris documentés à cet endroit qui allaient se révéler essentiels pour identifier le type de munition qui avait été utilisé. Quelques vidéos sur l’attaque du 30 mars ont été publiées sur internet, montrant les victimes de l’attaque en train de recevoir des traitements et les Casques blancs collectant des preuves sur le site. L’un des objets filmés par SMART TV dans une vidéo tournée près du site de l’impact, supprimée depuis, a fourni un lien crucial avec l’attaque au sarin du 4 avril 2017 à Khan Cheikhoun :
C’est cet objet métallique circulaire à droite qui a attiré notre attention sur ces débris. À première vue, cet objet semblait identique au bouchon de remplissage aperçu sur le site de l’attaque de Khan Cheikhoun survenue le 4 avril, soit quelques jours à peine après celle de Latamné. Il était impossible de mesurer les dimensions de l’objet sur la base de la vidéo, nous voulions malgré tout vérifier si ces deux bouchons étaient similaires. Nous avons ainsi comparé la distance séparant les deux trous percés au centre du bouchon par rapport à son bord extérieur pour vérifier une éventuelle correspondance :
On voit sur l’image du haut les deux bouchons superposés, ce qui montre que le trou visible se trouvait exactement dans la même position. Il était donc probable que ces deux bouchons soient de la même conception, et donc que la munition utilisée à Khan Cheikhoun soit la même que celle utilisée à Latamné. Un élément significatif puisque le Mécanisme d’enquête conjoint (JIM) de l’OIAC et de l’ONU, qui avait publié un rapport sur l’attaque de Khan Cheikhoun accusant l’armée arabe syrienne d’en être responsable, précisait que ce bouchon de remplissage « ne pouvait correspondre qu’avec une bombe aérienne syrienne ». Mais une question se posait toujours : quelle type de bombe était utilisé dans ces attaques au sarin ?
Merci la Russie
Le mois de novembre de 2017 a conduit à de nombreux développements significatifs dans nos recherches et c’est, ironie du sort, grâce aux tentatives de la fédération de Russie de défendre son allié syrien contre les accusations d’utilisation de sarin.
Début novembre, la MEF de l’OIAC venait de sortir son rapport sur plusieurs attaques chimiques, dont celle du 30 mars 2017 sur Latamné, incluant les dimensions de plusieurs débris. L’un de ces débris mesurés et photographié ne comprenait pas un mais bien deux bouchons de remplissage prélevés sur le site de l’attaque du 30 mars :
Or, le bouchon de remplissage de Khan Cheikhoun avait lui aussi été mesuré :
Il était également possible de voir que les deux faces des bouchons étaient d’un design et de dimensions similaires :
Nous pouvions donc affirmer que le design et les dimensions des bouchons de remplissage prélevés à Latamné correspondaient parfaitement à celui présent sur le site d’impact à Khan Cheikhoun, ce dernier étant décrit par l’OIAC-ONU comme « ne pouvant correspondre qu’à une bombe chimique aérienne syrienne ».
L’autre pièce clé de nos recherches a été fournie par la fédération de Russie. Lors d’une conférence de presse, le 2 novembre 2017, censée répondre au rapport du JIM de l’OIAC-ONU sur Khan Cheikhoun, les ministres russes des Affaires étrangères, de la Défense et de l’Industrie et du commerce ont présenté plusieurs informations pour prétendre que la République arabe syrienne n’était pas responsable de cette attaque. Au cours de cet exposé, ils ont montré un schéma représentant deux types de bombes chimiques syriennes, la M4000 et la MYM6000 :
Étonnamment, la fédération de Russie venait ainsi de fournir les premières informations publiques sur la nature de ces deux bombes, avec des détails sur leurs mécanismes internes, leurs dimensions et leurs poids qui seraient cruciaux pour identifier celles qui avaient utilisées lors des attaques au sarin de 2017 en Syrie. Les deux images en haut du schéma représentaient une bombe chimique MYM6000 avant et après remplissage. Le processus de remplissage avait été décrit par un ancien membre du Centre d’études et de recherches scientifiques (CERS) dans un article de Mediapart, en juin 2017 :
« Et ce qui a impliqué aussi, pour les ingénieurs du CERS, de concevoir des bombes très différentes des munitions classiques. « Extérieurement, explique l’un d’entre eux, elles ressemblent aux bombes conventionnelles de 250 et 500 kg chargées de TNT. Mais à l’intérieur, elles sont totalement différentes, divisées en deux compartiments distincts. Le premier, à l’avant, reçoit le DF [Difluorure de méthylphosphonyle]. Le second, à l’arrière, le mélange d’isopropanol et d’hexamine. Ce mélange est brassé par un agitateur que l’on peut actionner par une sorte de manivelle à l’arrière de la bombe. Lorsque les deux compartiments sont remplis, un technicien actionne la manivelle qui fait avancer l’agitateur jusqu’à briser la paroi de mica. La réaction de synthèse du sarin se déclenche alors dans la bombe, placée sous une “douche froide” et maintenue à une température très précise, contrôlée par un thermomètre laser. Après quoi il ne reste plus qu’à introduire dans le logement prévu, à la pointe de la bombe, la charge explosive et le détonateur, altimétrique, chronométrique ou autre, et à accrocher la bombe sous l’aile de l’avion. La charge doit être très précisément dosée. Si elle est trop importante, la chaleur dégagée risque de provoquer la décomposition du produit, ou la formation du nuage de gaz trop loin du sol, ce qui le rendra inefficace. En principe, une bombe de 250 kg contient 133 litres de sarin, quelques kilos de TNT et un lest destiné à préserver les caractéristiques aérodynamiques de la munition. Une bombe de 500 kg contient 266 litres de sarin. L’altitude idéale d’explosion de la bombe et de formation du nuage est autour de 60 mètres. »
Les deux bouchons de remplissage visibles dans le schéma, ainsi que le mélangeur (en vert) et la paroi séparant les deux sections de la bombe correspondaient bien au processus décrit dans l’article de Mediapart, publié quelques mois seulement avant la conférence de presse de la fédération de Russie. Cette description correspondait également à l’explication du processus de remplissage détaillé dans le récent rapport de l’IIT [équipe d’enquête et d’identification] de l’OIAC sur les attaques au sarin des 24 et 30 mars :
« La M4000, conçue et fabriquée par la République arabe syrienne pour propager des agents chimiques, dont du sarin, est une munition sans guidage larguée depuis les airs pesant 350 kg. Sa conception interne comprend deux compartiments, chacun avec son propre bouchon de remplissage et séparés par une membrane constituée de deux disques rattachés à un anneau. Le bouchon du compartiment avant est utilisé pour charger le difluorure de méthylphosphonyle (DF) dans la munition, alors que l’autre est utilisé pour la remplir d’hexamine et d’isopropanol. Le nez de la bombe est composé d’un cône lourd pour forcer la bombe a tomber le nez en avant. Un adaptateur est présent sur ce nez pour le rattacher à la fusée. À l’intérieur du compartiment avant se trouve un tube de dispersion avec une charge explosive d’environ 3 kg de TNT. Sur le compartiment arrière est attaché un aileron de queue, destiné à stabiliser la munition pendant sa chute. Ce compartiment dispose également d’une manivelle qui perce la membrane séparant les deux compartiments pour mélanger les précurseurs (le DF, l’hexamine et l’isopropanol) pour préparer la munition avant de la charger dans un aéronef. La bombe dispose de deux pattes de suspension sur son corps pour l’attacher à l’aéronef. »
Avec la publication du rapport de la FFM de l’OIAC sur l’attaque de Latamné nous disposons également d’autres débris à examiner. Parmi eux, un deuxième bouchon de remplissage, avec une conception et des dimensions identiques à celui qui avait déjà été retrouvé à Latamné, avec une patte de suspension attachée dessus. Sa conception correspond avec le schéma de la M4000 présenté par la fédération de Russie, montrant les deux bouchons, l’un effectivement proche d’une patte de suspension :
Le rapport mentionne également deux grosses pièces métalliques, une semi-circulaire sur laquelle est attachée une pièce plus petite, et les restes de ce qui semble être un anneau de queue avec des ailerons :
L’assemblage de l’aileron de queue et de l’anneau peut se révéler crucial pour identifier la bombe. Très peu de bombes, si ce n’est aucune parmi celles qui ont été utilisées en Syrie, n’ont une conception identique au niveau de cet assemblage. Par exemple, les images ci-dessous montrent deux types de bombes qui sont parfois confondues entre elles, la bombe à fragmentation hautement explosive OFAB 250-270 (à gauche) et la bombe à sous-munitions RBK-500 (à droite) :
Chacune de ces bombes dispose de huit ailerons de queue, dont certains dépassent l’anneau métallique. L’OFAB 250-270 dispose d’un second anneau de queue intérieur là où les ailerons s’arrêtent, mais sur la RBK-500 les ailerons pointent jusqu’à la base de la bombe. On peut aussi pointer d’autres détails comme les encoches à la base des ailerons de la RBK-500 – là où ils rejoignent la base de la bombe – et d’autres encoches sur les extrémités des ailerons de l’OFAB 250-270.
Concernant les débris de l’attaque du 30 mars à Latamné, nous avons d’abord voulu établir la configuration de l’aileron de queue et de son anneau. Timmi Allen de Bellingcat a créé une modélisation simple des débris en 3D, pour établir les bases de cette configuration :
Cela nous a permis d’établir qu’un deuxième anneau plus petit se trouvait à l’intérieur du grand, avec huit pièces métalliques pour les rattacher. Cependant, une de ces pièces était manquante ; seules sept d’entre elles étaient donc visibles sur ce débris. Quatre de ces pièces ne correspondaient pas à des ailerons, mais à des pièces rectangulaires qui ne s’étendaient pas au delà du diamètre de l’anneau de queue. Trois pièces plus grandes, placées en alternance entre les quatre autres, étaient également visibles, avec un interstice là où aurait du se trouver une quatrième pièce. Il s’agissait bien d’ailerons, et ils ne s’étendaient pas au delà du diamètre de l’anneau.
Alors où se trouvait cette pièce manquante, le quatrième aileron ? Le rapport de la FFM de l’OIAC fournit des explications dans sa description d’une pièce métallique semi-circulaire :
« Une pièce métallique triangulaire est attachée au corps de l’objet. Cette pièce ressemble à un aileron (étiqueté 2). Les restes de trois autres pièces (étiquetés 3) de longueur similaire et approximativement équidistant les uns des autres sont aussi observables. Cela pourrait indiquer la présence de trois autres objets équivalents. »
Ce qui indique que les deux pièces de métal, l’assemblage des ailerons de queue et la pièce semi-circulaire étaient les restes de la queue de la munition. De plus, l’aspect de cette queue, avec des ailerons ne dépassant pas de l’anneau, correspondait au schéma d’une bombe chimique M4000 présenté par la fédération de Russie dans sa conférence de presse.
Mais ce n’était pas tout. En utilisant les dimensions des débris d’ailerons de queue fournies par le rapport de la MEF de l’OIAC, il était également possible d’obtenir des dimensions approximatives pour chaque partie de la bombe, laquelle était proche des 460 mm de longueur de la bombe chimique M4000 telle que décrite dans le schéma russe. Après avoir examiné une large variété de munitions connues,on pouvait donc affirmer que la seule bombe connue possédant ce type de queue et ces dimensions était bien la bombe chimique M4000, d’après le schéma publié par la fédération de Russie.
En comparant les images de débris avec celle du schéma de la M4000, il était possible d’indiquer l’emplacement probable des débris, comme démontré ci-dessous :
Plus tard, avec l’aide de Forensic Architecture, nous avons produit une modélisation de la bombe basé sur le schéma russe et des des débris aperçus dans le rapport de la MEF de l’OIAC ; ceux-ci ont été restaurés dans leur état initial et replacés sur le modèle de la bombe, ce qui a montré qu’ils coïncidaient parfaitement avec le schéma de la M4000 :
Alors que nous avions trouvé de nombreuses correspondances entre le schéma de la M4000 et les débris retrouvés sur les lieux de deux attaques chimiques distinctes, nous ne disposions toujours pas de l’image d’une bombe M4000 complète. Près de deux ans après le début de nos recherches, nous avons finalement découvert la dernière pièce du puzzle.
La preuve définitive
En septembre 2019, nous avons été contacté par un lecteur de Bellingcat qui venait de tomber sur cette vidéo, publiée pour la première fois le 13 avril 2013 :
Cette vidéo semblait montrer une bombe chimique M4000 complète. Mais nous voulions en avoir le cœur net, et nous avons donc commencé à la comparer avec le schéma russe. Les ailerons de queue correspondaient effectivement avec les débris retrouvés à Latamné et les deux bouchons de remplissage étaient présents, tout comme le mélangeur et les deux pattes de suspension. Mais nous devions également mesurer la bombe de la vidéo. Une fois de plus, nous avons donc créé une modélisation en 3D en utilisant les dimensions des bouchons précédemment établies au cours de nos recherche pour définir les dimensions proportionnelles de cette bombe. Elle s’est révélée être large d’environ 460 mm, comme la M4000 du schéma publié par la Russie :
Pour un avoir un deuxième avis, nous avons également demandé à Forensic Architecture de réaliser leurs propres mesures. En utilisant la photogrammétrie, ils ont eux aussi réalisé un modèle 3D qu’ils ont mesuré en partant du postulat que le diamètre des bouchons était de 107 mm, comme constaté lors d’attaques antérieures. Là aussi, la largeur de la bombe ainsi obtenue était de 460 mm :
En plus de la correspondance entre des caractéristiques importantes comme les bouchons, les pattes de suspension et les ailerons, de nouveaux détails concordants et plus petits sont apparus. Dans l’image ci-dessous, on peut voir que l’extrémité la plus fine de la queue ne se termine pas en un point, aligné avec la base de la bombe, mais avec une encoche en angle droit. Un détail mineur mais que l’on retrouve également sur les débris de Latamné et sur la bombe M4000 complète documentée dans la vidéo d’avril 2013 :
Ce détail et bien d’autres caractéristiques confirment que la bombe est une M4000, correspondant aux débris de celle de Latamné, qui eux-mêmes correspondaient au schéma russe de la M4000.
Il existe aussi un lien intéressant avec l’attaque chimique de Khan Cheikhoun du 4 avril 2017. Peu de débris ont été retrouvés sur le site de cette attaque, mais l’un d’entre eux, le bouchon de remplissage correspondait, là encore, exactement à ceux de la M4000. Un autre débris, une pièce métallique tordue (ci-dessous), avait engendré de nombreux débats. Pour certains, il s’agissait en réalité d’un tube métallique, soit un élément d’une roquette, soit un tube rempli de sarin muni d’une charge explosive pour libérer le gaz :
Difficile d’expliquer comment une munition explosive aurait pu créer un débris de cette forme, d’autant plus qu’il apparaît comme replié vers l’intérieur, et non vers l’extérieur, comme on pourrait s’y attendre après une explosion. La bombe de la vidéo d’avril 2013 fournit une explication possible. Dans cette vidéo, on aperçoit clairement une pliure sur la partie de la bombe située à la base du nez. D’après le schéma de la M4000, cette partie de la bombe contient une charge explosive et du lestage lourd, et la pliure semble bien se trouver juste après la base du nez :
En cherchant plus loin, nous avons découvert qu’il ne s’agissait pas de la seule occurence d’un débris de M4000 répertorié avant les attaques de 2017. Une autre vidéo, publiée en 2014, montre les restes d’une M4000, avec le même élément présent à la base du nez de la bombe :
Cela pourrait confirmer que le débris de Khan Cheikhoun n’était pas un tube métallique comme certains l’ont assuré, mais un débris formé pendant l’explosion par la pièce métallique à la base de la tête de la munition.
La vidéo ci-dessus est également intéressante, puisqu’elle semble confirmer au moins l’une des affirmations du gouvernement syrien au sujet des M4000. Le rapport de l’IIT de l’OIAC cite la déclaration du gouvernement syrien selon laquelle certaines de ses bombes chimiques ont été reconditionnées en bombes conventionnelles. Or la vidéo ci-dessus montre qu’il manque une section rectangulaire sur le flanc de la bombe, avec un remplissage solide. Il est donc possible que cette vidéo montre justement l’une de ces bombes chimiques reconditionnée en bombe conventionnelle, chargée d’explosifs solides. Bien que [la bombe] soit brisée, aucune attaque chimique n’a été signalée à l’endroit et à la date où cette vidéo a été tournée. Il paraît donc peu probable que les personnes l’ayant filmé l’aient associée à une attaque chimique.
Certains prétendent que ces vidéos plus anciennes prouvent que les rebelles syriens auraient pu utiliser ces restes de bombes pour simuler les attaques chimiques de Khan Cheikhoun et Latamné. Cette hypothèse est justement examinée par l’IIT de l’OIAC dans son rapport sur l’attaque de Latamné.
« Afin de déterminer la provenance possible du sarin propagé au cours des incidents de mars 2017 à Latamné, l’IIT a suivi un certain nombres d’étapes. Des échantillons ont été prélevés sur les bouchons de remplissages, les débris ont été identifiés comme faisant partie du mélangeur de la bombe d’une munition chimique utilisée le 30 mars, et ils ont été analysés à la demande de l’IIT. Les experts ont décrit les bouchons comme “intacts” et fermés, alors que la partie extérieure du mélangeur était brisée. Ces trois débris n’aurait pu être détruits qu’avec difficulté. La probabilité que du sarin (et/ou un autre composé suggérant la présence de sarin) du même type que celui produit par la République arabe syrienne ait été ajouté sur le site pour « mettre en scène » dans chacun de ces trois débris est donc extrêmement faible. De plus, en ouvrant un morceau du mélangeur, l’IIT a pu observer de la graisse, ce qui, d’après des experts consultés par l’IIT, correspond avec ce qui serait nécessaire pour lubrifier l’axe du mélangeur pour mélanger les composés du sarin. »
Vu les preuves rassemblés sur les attaques au sarin des 24 et 30 mars à Latamné, l’idée que ces attaques auraient pu être simulées – alors même qu’il n’y a eu aucune couverture médiatique de l’attaque du 24 mars par des groupes d’opposition et à peine plus pour celle du 30, sans parler de la préparation complexe et méticuleuse requise pour de telles mises en scènes – est donc complétement absurde.
Les données en sources ouvertes, et désormais le rapport de l’IIT de l’OIAC, démontrent ceci : bien que la République arabe syrienne ait adhéré à la Convention sur les armes chimiques en 2013 et qu’elle ait annoncé avoir déclaré l’ensemble de ses stocks d’armes chimiques à l’OIAC, elle continue à utiliser des armes chimiques, y compris les bombes qu’elle affirme avoir détruites, pour empoisonner sa propre population.
Un article d’Eliot Higgins traduit par Syrie Factuel