Afrine : Profanation et destruction du patrimoine culturel
Juste après le lancement de l’opération «Rameau d’olivier» par la Turquie en janvier 2018, des rapports ont commencé à sortir du district d’Afrine, en Syrie, au sujet de la profanation ou de la destruction de nombreux sites culturels dans la région. Deux jours seulement après le début de l’opération, des frappes aériennes ont infligé de sérieux dommages sur le site d’Ain Dara, « un temple néo-hittite… construit par les Araméens au premier millénaire avant JC. »
Le programme pour le patrimoine culturel des Écoles américaines de recherches orientales (American Schools of Oriental Research (ASOR) Cultural Heritage Initiatives) a publié un rapport sur l’incident, détaillant l’étendue des dégâts et qui conclut que « l’attribution de ces dommages à une frappe aérienne turque est crédible.» La prise de la ville d’Afrine par les forces soutenues par la Turquie, le 18 mars 2018, a aussi été marquée par la destruction de la statue de Kawa, qui représentait un héros du folklore kurde (et perse) et qui, pour des millions de personnes, symbolise la liberté face à la tyrannie.
Au cours des quatre mois suivants, l’ASOR a continué à surveiller et faire état d’allégations semblables en provenance d’Afrine en publiant des rapports via son programme pour la sauvegarde du patrimoine du Proche-Orient (Safeguarding the Heritage of the Near East Initiative). Bien que la publication de ces dépêches ait cessé pour des raisons inconnues en mai 2018, cet article cherche à approfondir le sujet ainsi qu’à ajouter de nouvelles données à celles collectées par l’ASOR à propos de la profanation et la destruction de cimetières, de sanctuaires religieux et autres sites culturels à Afrine au cours de l’opération Turque «Rameau d’olivier».
Si les dégâts analysés dans cet article ne représentent qu’une partie des rapports sur les abus infligés à Afrine et à ses habitants par la Turquie et les forces locales qu’elle soutient, ces incidents peuvent être vérifiés et documentés à distance, à l’aide de techniques de recherche en sources ouvertes (OSINT).
Situé dans le quart nord-ouest du gouvernorat d’Alep et frontalier avec la Turquie au nord et à l’ouest, le canton d’Afrine est connu pour sa culture de l’olive et ses paysages pittoresques et vallonnés. Avant la guerre, la population de la région était d’environ 200 000 personnes, essentiellement des Kurdes, avec une petite minorité arabe vivant principalement dans le sud. Tout au long de la guerre civile syrienne, Afrine a accueilli de nombreux déplacés arabes et kurdes venus d’autres régions du nord du pays. Cependant, de nombreux déplacés et habitants originaires d’Afrine ayant fui la Syrie au cours des huit années passées, il est difficile de savoir précisément quelle était la composition démographique de la région avant le lancement de l’opération «Rameau d’olivier» par la Turquie en janvier 2018.
Vers la seconde moitié du 20e siècle, Afrine avait développé une réputation plutôt laïque. Selon l’historien Harriet Allsopp, auteur de The Kurds of Syria: Political Parties and Identity in the Middle East (Les Kurdes de Syrie : Partis politiques et identité au Moyen-Orient), la région était celle comptant le moins de mosquées de tout le pays et ses habitants étaient typiquement peu pratiquants. Malgré tout, Afrine fut le foyer de réseaux soufis très actifs, ainsi que de populations yézidies, alévies et chrétiennes. Les Soufis, les Yézidis et les Alévis de la région ont entretenu de nombreux sanctuaires dans les zones rurales, généralement des tombeaux de cheikhs et de figures saintes qui servaient de lieux de rassemblements pour les pèlerinages et les célébrations communautaires.
La présence yézidie dans la région remonte au moins au 13e siècle. D’après les estimations, ils étaient entre 5 000 et 15 000 avant la guerre, résidant principalement dans trois groupes de villages dans le sud et l’est d’Afrine. On ignore combien de Yézidis vivaient encore à Afrine juste avant l’invasion turque. Peu d’entre eux sont encore dans la région aujourd’hui. La majorité de la communauté a fui à l’est dans d’autres zones contrôlées par le PYD (Parti de l’Union démocratique), telle que la région de Shahba, à Alep, qui serait aujourd’hui le foyer de 6 000 Yézidis venus d’Afrine.
On trouve environ quinze sanctuaires yézidis à Afrine et dans la région du Djebel Siman (Mont Siméon) au sud. Ces sanctuaires se trouvent généralement à proximité d’un cimetière yézidi avec des arbres auxquels les fidèles accrochent des rubans symbolisant leurs vœux. Probablement en raison de la proximité entre les communautés et du fait que, selon une opinion largement répandue, une partie des musulmans de la région sont le produit de campagnes d’islamisation menées dans les villes yézidies, il semble que l’usage syncrétique de ces sanctuaires soit courant. C’est notamment le cas du temple de Qara Jorna dont nous parlerons plus en détail ci-dessous.
Alors que leur religion et leur identité a continuellement été réprimée par les baassistes, le retrait des troupes du régime de cette région en 2012 a permis une activité religieuse et politique yézidie florissante à Afrine. Un phénomène visible avec la formation d’associations telles que l’Association yézidie, qui a œuvré aussi bien pour l’éducation que pour l’organisation de la communauté.
Les Alévis d’Afrine, probablement la seule communauté alévie kurdophone de Syrie, sont arrivés au cours des derniers siècles, fuyant les persécutions en Anatolie. L’afflux le plus récent remonte aux massacres perpétrés par la République turque à la suite du soulèvement de Dersim, en 1938. Les Alévis d’Afrine vivent dans le sous-district central de Maabatli (aussi connu sous le nom de Mabata). La communauté compterait, selon les estimations, entre «un petit millier» et 15 000 individus. Cependant, puisque le recensement de 2004 y enregistrait une population multi-religieuse de 12 359 personnes, la première estimation est la plus crédible.
Des entretiens avec des Alévis d’Afrine réalisés ces dernières années suggèrent que la communauté a subi «une perte de la foi et de la culture du peuple alévi [en vivant sous] les régimes arabes.» D’une façon similaire à celle des Yézidis d’Afrine, les Alévis ont été à la fois en mesure de pratiquer librement leur foi et de s’organiser politiquement sous le projet «d’auto-administration» du PYD, comme l’a démontré l’ouverture d’un centre culturel alévi dans la région de Maabatli en 2017.
La population chrétienne contemporaine d’Afrine est relativement récente et constituée de Kurdes convertis par l’Église protestante évangélique du Bon Berger. Depuis l’opération «Rameau d’olivier», il semble que la totalité de la population chrétienne d’Afrine ait fui à l’est dans d’autres zones sous contrôle du PYD. En mai de la même année, des activistes locaux ont rapporté que l’église d’Afrine avait été pillée par deux factions rebelles. Dans un article publié par Kurdistan24 en septembre 2018, le journaliste Wladimir Van Wilgenburg parle d’une église évangélique ouverte à Kobané par des Chrétiens exilés d’Afrine.
Depuis mars 2018, la composition démographique d’Afrine a subi d’immenses changements. Une grande partie des populations hétérodoxes de cette région ont fui au début de l’opération «Rameau d’olivier», rapidement suivie par la réinstallation par la Turquie de déplacés arabes sunnites fuyant le régime d’Assad dans des maisons abandonnées et des camps fraîchement construits. C’est dans ce contexte que ces incidents de profanation et de destruction de sites culturels sont intervenus.
Comme précédemment détaillés dans cet article de Bellingcat publié en novembre 2018, le temple de la colline d’Ali Dada, ainsi que des portions du cimetière adjacent, situé juste à l’est de la ville d’Anqele, ont été rasés lors de la construction d’une position militaire. Cette destruction a eu lieu entre le 26 février et le 5 mars 2018, juste après la capture de la ville. Difficile de dire si les responsables appartiennent à l’armée turque ou aux forces alliées locales actives dans la région à cette période, telles que Liwa al-Vakkas ou la 1ere légion de l’Armée nationale syrienne. Le nom «Dada», ou «Dede», est celui utilisé par les clercs alévis et se retrouve dans le nom de nombreux sanctuaires. Cependant, vu la localisation du temple d’Ali Dada dans les alentours d’un village musulman, il est probable que le sanctuaire ait également été utilisé par d’autres que les Alévis.
Le 27 mars 2018, un média yézidi, Ezdina News, a publié une vidéo qui avait été auparavant téléchargée sur une page Facebook privée, montrant la profanation du temple de Qara Jornah. La vidéo montre plusieurs hommes, apparemment affiliés aux forces de «Rameau d’olivier» se moquant du sanctuaire et de ses fidèles tout en brûlant des morceaux de vêtements attachés à un arbre, ainsi que des images avant/après de l’intérieur du temple, démontrant que des destructions intentionnelles avaient eu lieu. Deux des individus dans la vidéo sont habillés en civil, alors qu’un troisième porte un harnais militaire. Cependant aucun insigne ne permet d’identifier la brigade à laquelle il appartient.
Le temple se trouve à cet endroit, dans le sous-district de Sharran, au nord-est. Il est fréquenté aussi bien par des Yézidis locaux que par des communautés musulmanes. Selon un article publié en 2011 sur le site web du nord d’Alep ESyria, qui a cartographié les sites culturels de la région avant la guerre, des locaux se rendaient au temple chaque mercredi afin de réaliser un sacrifice et accrocher un ruban à un chêne en espérant que leurs vœux soient réalisés.
Un poulet était souvent sacrifié avant d’être cuisiné sur le site puis mangé ou distribué aux passants ou aux nécessiteux. De tels arbres, typiquement des chênes dont on pense qu’ils sont vieux de plusieurs siècles, se trouvent fréquemment a proximité des sanctuaires religieux à Afrine et sont vénérés et protégés selon la coutume locale.
Le temple de Nabi Houri se situe au sud ouest de l’ancienne cité de Cyrrhus en lieu et place du mausolée romain (situé ici) et «a été vénéré depuis le 14e siècle comme lieu de sépulture d’un des prophète prédécesseur de Mahomet», selon l’anthropologue Paulo Pinto.
Selon Pinto, le temple attire des pèlerins de loges soufis à travers le nord d’Alep, qui viennent chaque année pour célébrer le saint. Une vidéo Facebook postée le 18/03/18 affirme montrer la dégradation du site, au pied de la tour hexagonale.
La chaîne d’information pro-opposition Orient TV a tourné une vidéo au même endroit le mois précédent, montrant à un moment la chambre du temple. Dans la vidéo Facebook, le lutrin se trouvant à l’intérieur de cette chambre a été renversé, mais en raison du manque d’images montrant de manière plus large le temple avant l’opération «Rameau d’olivier», il est impossible de savoir si d’autres objets sont manquants ou endommagés. Citant une source locale, l’ASOR a rapporté que «des combattants de l’ASL (Armée syrienne libre) alliés avec l’opération «Rameau d’olivier» ont saccagé le temple, à la recherche d’un trésor.» Un article publié en 2010 par le site web ESyria met en lumière l’histoire de la mosquée située juste à côté de la tour.
Le 11 avril 2018, une page Facebook intitulée Autorité légale kurde a publié une photo affirmant démontrer la destruction infligée au temple de Madour, situé dans le sous-district de Bulbul. Le temple est mentionné dans un article du site web local Tirej Afrin comme étant situé sur une colline à l’ouest de la ville Qirigole.
La seconde image de la publication Facebook, probablement prise plus tôt, montre cette colline avec une construction à son sommet, située ici, entourée par un feuillage similaire à celui de la première image. Pour l’instant, nous n’avons pas été en mesure de confirmer qu’il s’agit de la bonne localisation, ni de corroborer les dommages sur le mur de façade via l’imagerie satellite. Cependant la photo Facebook semble être l’originale puisqu’elle n’apparaît pas en recherche d’imagerie inversée.
Le 18 mai 2018, des photos montrant la profanation du temple du Cheick Zayd ont circulé sur les réseaux sociaux et différents médias. Les images montrent que les objets se trouvant à l’intérieur ont été détruits et jetés dehors, tandis que le sol a été creusé. Plusieurs autres images peuvent être vues dans cet article d’Hawar News
Le temple, qui se situe ici, se trouve à côté d’un cimetière du quartier de Zaydiyyah, au nord d’Alep. L’agence de presse pro-opposition Aleppo24 a rapporté l’incident, accusant « des hommes armés de l’opération d’Afrine » d’être les auteurs de cette profanation.
Ezdina News a publié le 21 mai 2018 une vidéo montrant la profanation d’un second temple Yézidi. Elle montre la pierre tombale, trouvée sur une tombe à l’intérieur de la seule petite pièce du bâtiment, démontée et brisée, la tombe elle-même ayant été ouverte.
Ce temple porte le nom de Cheick Junayd, un religieux yézidi mort en 1930, et se trouve juste à l’extérieur de la ville de Feqira (également connue sous le nom de Qarah Bash). La vidéo d’Ezdina News montre également des images de la consécration du temple en 2011. Fait remarquable : le temple de Cheick Junayd étant probablement le plus récent site Yézidi de la région, il possède un dôme conique à cannelures similaires à ceux que l’on trouve dans les régions yézidies en Irak.
Le temple de Cheikmus, situé dans un cimetière au sud de la ville de Gewenda dans le sous-district de Rajo (position exacte ici) a été signalé comme pillé le 16 juin 2018.
Des photos qui seraient celles du sites sont apparues quelques jours plus tard sur Facebook, censées montrer que la chambre principale du temple a été pillée et que des fouilles ont eu lieu dans d’autres parties du temple.
Huit mois plus tard, en février 2019, une vidéo et des photos sont apparues, semblant montrer que de nombreux arbres entourant le site ont été abattus gratuitement. Plus d’informations sur le temple de Cheikmus peuvent être trouvées dans cet article d’ESyria daté de 2014.
Le 21 juin 2018, l‘Autorité légale kurde a publié une vidéo montrant la profanation d’un autre temple yézidi, cette fois celui de Cheick Rakab (situé ici), dans le village de Shadira, au sud de la ville d’Afrine. Une partie du plafond s’est effondrée, recouvrant de débris la chambre et la tombe qu’il abritait.
D’après l’Autorité légale Kurde, des forces soutenues par la Turquie y sont entrées à la recherche « d’or et de reliques ». Le temple abrite le corps du «célèbre chef de la communauté yézidie, le Cheick Huseyn Brimo» (tel qu’il est décrit dans le livre de Sebastian Maisel), qui a été enterré ici après sa mort en 2013.
La dégradation d’un second temple alévi a également été signalée, le 11 novembre 2018. La vidéo montre le temple d’Af Ghiri vidé de ses objets et sa crypte brisée et ouverte sur le dessus, laissant penser que la motivation était le pillage.
Trois mois plus tard, une photo publiée par Afrin Activist Network montrait encore plus de dégâts sur la tombe à l’intérieur. À ce jour, nous n’avons pas été en mesure de localiser le site en raison des faibles indices géographiques disponibles dans cette courte vidéo et dans les photos.
Le temple se trouverait dans un oued connu sous le nom de Biri, près de la ville de Qentere (ici) située dans le sous-district de Ma’abatli. Des images d’un temple similaire proche, nommé Yagmur Dada et plus d’informations sur les Alévis d’Afrine, peuvent être trouvées ici.
Le site officiel du PYDKS (Parti de l’unité démocratique kurde en Syrie), un parti kurde historiquement influent à Afrine, a rapporté le 5 décembre 2018 qu’un grand arbre sacré du temple de Cheick Hamza a été abattu.
Le chêne, probablement âgé de plus d’un siècle, était un élément important de ce temple (situé ici), près du village de Ze’ire, dans le sous-district de Bulbul. Difficile de savoir ce qui a motivé l’abattage de cet arbre, mais les groupes militants de la région ont régulièrement été accusés de découper les arbres de la région, y compris dans les nombreuses plantations d’oliviers, pour faire du profit sur le marché noir du bois de chauffage. Le site pro-opposition Enab Baladi a travaillé sur ce phénomène en janvier 2019, interviewant la population locale qui accusait les factions de militants locaux ainsi que la police militaire soutenue par la Turquie d’être impliqués.
Le 17 février 2019, des activistes locaux d’Afrine ont posté des images sur Twitter montrant qu’un autre arbre sacré, à l’extérieur du temple yézidi de Cheick Humayd, a été découpé et qu’au moins une pierre tombale du cimetière qui l’entoure a été renversée.
Les photos et les vidéos publiées au cours des deux semaines suivantes montrent que plusieurs tombes ont été vandalisées de la même manière et qu’une portion entière du mur et du toit du temple ont été détruits. Ce qui donne au total quatre cas confirmés de destruction ou de profanation de temple yézidi.
Le temple de Cheick Humayd et son cimetière se trouvent ici, entre les villes de Qestel Jindo et Baflune, historiquement peuplées de Yézidis, ainsi que sur ce qui fut la ligne de front entre la zone d’Afrine contrôlée par le PYD et le bastion rebelle d’Azaz.
«Afrin Activist Network» a publié des photos le 25 mars 2019 montrant un temple partiellement détruit, nommé Cheick Mohammed, situé ici dans la ville de Miske, dans le sous-district de Jindires. Cette destruction avait en réalité d’abord été signalée sans images en octobre 2018. Les dommages structurels sont clairement évidents lorsqu’ils sont examinés par imagerie satellite.
La destruction d’un arbre sacré tout proche a également été signalée et l’agence pro-PYD Afrin Post a rapporté que la mosquée de la ville a été pillée, même si cette allégation n’a pas été corroborée. Le temple est probablement dédié à un saint soufi local puisque il n’est mentionné dans aucune source alévie ou yézidie.
Un troisième temple alévi (en plus de ceux d’Ali Dada et d’Af Ghiri), nommé Aslan Dada, a été signalé profané par Afrin Post le 9 février 2019. Une vidéo montre que les arbres du site ont été abattus et il semble que certains objets du temple aient été jetés au sol. La vidéo ne montre pas le temple lui-même, il est donc difficile d’évaluer précisémment les dégâts.
À ce jour nous n’avons pas pu localiser le site. D’après Afrin Post il se trouve au sud du village de Khadiriya, dans le sous-district de Bulbul. Bien que la zone se trouve plus au nord que d’autres sanctuaires alévis, la vidéo semble correspondre au paysage de la région.
Curieusement, un article de 2016 au sujet de temples d’Afrine et qui mentionne celui d’Aslan Dada dont il semble montrer l’intérieur, place le site comme proche de Julaqa, une ville dans le sous-district de Jindires.
Les cimetières ordinaires ne disposant pas de temples ont également été ciblés par les vandales. Une vidéo publiée par l’Autorité légale kurde le 11 décembre 2018 montre des pierres tombales fracassées et des parcelles partiellement déterrées dans un cimetière situé à l’extérieur du village de Qurbe, dans le sous-district de Jindires.
Le 19 mai 2019, Afrin Activists Network a posté une vidéo sur sa chaîne Telegram montrant plusieurs tombes dégradées dans le cimetière situé à l’extérieur de Qibare, à l’est de la ville d’Afrine.
Avant la guerre, Qibare était une ville majoritairement peuplée de Yézidis, et sa campagne environnante abrite trois temples yézidis. L’état actuel de ces sites – ceux de Malik Adi, Jil Khana et Hecherka – est inconnu, mais ils sont tous situés a proximité de ce cimetière.
D’abord endommagé par un bombardement turc en février, le cimetière du martyr Seydo des YPG a également été vandalisé pendant les trois mois suivants. L’un des trois cimetières des YPG d’Afrine, celui du martyr Seydo, se trouve au nord de Jindires et a été construit peu avant 2015.
L’extérieur du cimetière n’a subi que des dégâts mineurs en février, à cause d’un bombardement de la Turquie ou de ses alliés, bien qu’il ne soit pas clair si ce bombardement était intentionnel ou non.
Cependant, des images publiées le 1er mai 2018 montrent que des dommages intentionnels importants ont été infligés au cimetière et à de nombreuses tombes.
Au vu de l’importance des martyrs dans la culture politique et militaire du PYD et de l’utilisation étroitement liée de symboles du parti et de ses milices, une tentative turque d’éliminer les traces de leurs rivaux était probablement inévitable – cependant, comme le montrent les photos d’avril, de nombreuses parcelles ont été creusées et des parties des murs extérieurs abattues.
Le 12 août 2018, une vidéo diffusée par plusieurs comptes d’activistes kurdes montrant la destruction du cimetière des martyrs d’Avesta Khabour situé juste à l’ouest de la ville d’Afrine. La vidéo montre un tractopelle retournant de la terre sur le site en plein jour, à 250 mètres à peine de la ville.
Sur des images prises de plus près au même moment, on peut voir le sol recouvert de tas de terre, de roches et de débris là où se trouvaient les pierres tombales.
Le cimetière des martyrs d’Avesta Khabour, qui n’était qu’un champ vide jusqu’au début des hostilités fin janvier 2018, a poussé au cours de la campagne soutenue par la Turquie. Il existe de nombreuses images de ce cimetière prises aux cours de funérailles de martyrs du YPG/YPJ.
Le troisième cimetière YPG/YPJ d’Afrine, connu sous le nom de cimetière des martyrs de Rafiq, se trouve sur une colline à l’est de Qatme et a été construit avant juillet 2015. Le site présentait plusieurs hangars à poteaux à proximité que l’on pouvait apercevoir à l’arrière plan des vidéos de funérailles publiées avant «Rameau d’olivier».
Ces structures ont été rasées au cours des combats, probablement par des frappes aériennes. Cependant, l’imagerie satellite ne permet pas d’affirmer si les tombes du cimetière des martyrs de Rafiq ont été dégradées de la même manière que pour les deux autres cimetières.
Plusieurs jours après la fin de l’opération «Rameau d’olivier», des sources Kurdes ont signalé la profanation de la tombe du révolutionnaire kurde du 20ème siècle, Nuri Dersimi, située dans le cimetière d’Henan, près de la ville de Meshale.
Initialement, la tombe disposait de quatre pancartes commémorant Dersimi, l’une en écriture arabe et les trois autres en kurde avec l’alphabet latin.
La première des pancartes et l’une des dernières ont été détruites et une autre en kurde a pour sa part été retirée de la partie de la tombe sur laquelle elle reposait. Nursi Dersimi fut exilé de la république turque après le soulèvement de Dersim en 1938, et il finit par s’installer à Afrine, où il est mort en 1973. La femme de Dersimi serait enterrée dans la même sépulture.
Le 21 mai 2018, le média Deri Press a publié une vidéo semblant montrer la mosquée d’Henan, saccagée et pillée. La mosquée se trouve à l’intérieur du cimetière d’Henan mentionné plus haut.
Étant donné que nous n’avons pas pu trouver une vidéo antérieure de l’intérieur de la mosquée, nous ne sommes pas en mesure de confirmer sa localisation.
Dans un reportage de Dars News de juillet 2018 à propos des abus subis par les yézidis d’Afrine après la fin de l’opération «Rameau d’olivier», des photos ont été publiées, semblant montrer la destruction d’un centre culturel yézidi et de statues du prophète Zoroastre et du dôme de Lalish, à Afrine.
Ce centre a ouvert en 2013 et servait de local à l’Association yézidie. D’après le livre de l’universitaire Sebastian Maisel Yezidis in Syria: Identity Building Among a Double Minority (Les yézidis en Syrie : la construction d’une identité au sein d’une double minorité), cette organisation culturelle récemment formée regroupait des comités chargés de différents sujets comme «la médiation, la formation, l’information, la culture, le sport, et les femmes […] [tout en ouvrant] des écoles séminaires […] afin de former les enseignants aux études religieuse yézidies» dans le but de démarrer l’éducation de la jeunesse de la communauté.
Ce centre culturel a été localisé du côté ouest d’Afrine.
Via l’analyse de l’imagerie satellite, il est clair que sa destruction coïncide avec la capture de la ville par la Turquie et ses alliés. Bien qu’il ne soit pas possible d’affirmer quels moyens ont été utilisés pour détruire ce bâtiment, l’absence de traces de brûlures et de dégradation du feuillage à proximité laisse penser que la démolition a été effectuée par des véhicules de chantier.
Grâce à des recherches approfondies en sources ouvertes, il devient clair que des dégâts conséquents ont été infligés à de nombreux sites patrimoniaux dans le district d’Afrine. Les sites traditionnellement fréquentés par les populations hétérodoxes de la région ont particulièrement été affectés.
En raison du fait que les coupables ne sont visibles que dans la vidéo de Qara Jorna, nous ne pouvons pas précisément attribuer la responsabilité de ces destructions à un acteur en particulier. Cependant, ces incidents interviennent dans le contexte de l’après «Rameau d’olivier» à Afrine, contexte dans lequel les groupes armés et les conseils locaux ont été fréquemment accusés de violations des droits de l’Homme ciblant notamment la population autochtone majoritairement kurde.
Le schéma largement non-systématique de ces profanations laisse penser qu’elles ont été menées par différents acteurs – pour des raisons multiples allant du sectarisme religieux ou ethnique à l’appât du gain par le pillage – et il est clair que les institutions de gouvernance soutenues par la Turquie n’ont déployé que très peu voire aucun effort pour prévenir de tels incidents.
Un article d’Alexander McKeever traduit par Syrie Factuel