La colère des oliviers : Un suivi de l'insurrection à Afrine à travers les réseaux sociaux
Terminée fin mars 2018, l’opération Rameau d’olivier a permis la conquête d’Afrine, une zone majoritairement peuplée de Kurdes située dans le gouvernorat d’Alep, par les forces armées turques (TSK) et leurs alliés issus de l’armée syrienne libre (FSA). L’essentiel des défenseurs YPG et YPJ d’Afrine ainsi que plus d’une centaine de milliers de ses habitants ont fui dans la proche région de Shahba au cours de la dernière semaine de l’offensive. Le gouvernorat est depuis gouverné par une mosaïque d’institutions civiles soutenues par la Turquie ainsi que par une multitude de factions rebelles sujettes aux conflits internes. Dans cette situation sécuritaire instable la Turquie a été largement accusée de pillages, de violations des droits de l’homme, de destruction du patrimoine culturel et de nettoyage ethnique.
Attention : certaines images présentes dans cet article peuvent heurter les lecteurs sensibles
Depuis, les YPG, aux côtés de ce qui semble être une multitude de groupes officieux, ont mené une insurrection longue de dix mois. Ces factions ont agi en combinant différentes tactiques, telles que des attaques à l’IED (engin explosif improvisé – ndt), des embuscades, des kidnappings et des exécutions, toutes diffusées à destination d’un public interne et externe à travers les réseaux sociaux pour casser la gouvernance des groupes soutenus par la Turquie tout en signalant la ténacité et la capacité d’action de l’insurrection.
Avant l’opération Rameau d’olivier, Afrine avait presque totalement échappé à la brutalité et aux immenses destructions que la plupart des régions syriennes ont enduré au cours des huit années passées. Les forces du régime se sont retirées juste après le début de la révolution, abandonnant la région au Parti de l’union démocratique Kurde (PYD) et à ses milices YPG et YPJ. Depuis, un pacte de non-agression tacite entre les Kurdes et le régime a permis d’éviter les bombardements qui ont ravagés les autres territoires rebelles de la Syrie.
Ce calme relatif a attiré beaucoup de déplacés, avec certaines estimations allant jusqu’à 100 000 personnes. Malgré tout, le manque de logements neufs visibles sur les images satellites montre que de nombreux habitants et déplacés ont fuit vers la Turquie voire au delà au cours de cette période. Avant la guerre, selon le recensement de 2004, 172 000 habitants vivaient à Afrine. Ceux-ci étaient majoritairement des Kurdes sunnites, avec des petits groupes confinés géographiquement constitués de Yézidis, Chrétiens protestants et d’Arabes sunnites.
Des combats entre les YPG et les groupes rebelles ont éclaté au printemps 2016, lorsque des combattants d’Afrine ont tiré avantage de l’offensive du régime pour conquérir de nombreux territoires du nord d’Alep dans la région de Shahba. C’est au cours de la période 2015-2016 que la Turquie a décidé de changer ses priorités en Syrie, alors que les négociations de paix avec le PKK avaient échouées et que ses affiliées du YPG montaient en puissance dans leur combat contre l’État Islamique. La Turquie est passée du soutien matériel des rebelles, avec pour objectif de renverser le régime, à une intervention directe au nord d’Alep, pour bloquer et faire reculer les YPG.
Documenter les événements actuels à Afrine est une tâche compliquée à cause du chaos sécuritaire dans lequel se trouve le canton depuis mars, ainsi que par l’extrême, mais compréhensible, polarisation des médias présents sur place.
Si cette étude se concentre sur les attaques revendiquées par trois groupes opposés à l’armée turque, il doit être noté que de nombreux attentats et fusillades à Afrine n’ont jamais été revendiqués. Que ces attaques aient été commises par des rebelles en raison des nombreux conflits internes au sein des factions rebelles, ou qu’elles aient été menées dans le cadre de la campagne d’assassinat d’Idleb est difficile à établir.
Les trois factions sur lesquelles je me concentre ici sont les YPG (Unités de protection du peuple), Ghadab al-Zaytoun (GaZ – Colère des oliviers), ainsi que les Hêzên Rizgariya Efrîné (HRE – Forces de libération d’Afrine). Au moins trois autres groupes se positionnant contre l’armée turque ont déclaré leur existence durant cette période. Cependant, ces groupes n’ont revendiqué que quelques attaques, en incluant des attentats à la bombe dans des espaces publics, causant des victimes parmi les civils. Des sympathisants du PYD ont considéré ses attaques comme étant des canulars pour les réseaux sociaux, voire comme un coup monté du MIT (les services de renseignements turcs) et ont été publiquement désavoués par les YPG.
À eux trois, le YPG, GaZ et les HRE ont revendiqués près de 220 attaques entre mars 2018 et fin janvier 2019. Environ la moitié se sont déroulées entre juillet et septembre, soit la période la plus active de l’insurrection.
Chacun des trois groupes se distingue des autres par un certain nombre de caractéristiques. La campagne des YPG, qui n’a été que partiellement documentée grâce à des preuves visuelles, ne s’est déroulée qu’à l’intérieur du canton d’Afrine et ne donne plus signe de vie depuis mi-décembre.
Ghadab al-Zaytoun, un groupe dont l’existence a été annoncée en juin 2018, a opéré à Afrine mais aussi dans le reste du territoire contrôlé par les factions de l’Armée syrienne libre soutenues par la Turquie au nord d’Alep (mieux connu sous le nom du territoire du bouclier de l’Euphrate, du nom d’une précédente opération turque menée du 24 août 2016 au 29 mars 2017). Ce groupe a également revendiqué des attaques à Idleb – bien que la véracité de ces revendications reste à déterminer. GaZ a gagné en notoriété pour ses kidnappings et exécutions très controversés de membres de l’Armée syrienne libre et de personnes suspectées d’être leurs collaborateurs, une sombre marque qui distingue les actions de ce groupe de celles officiellement menées par les YPG à Afrine.
Hêzên Rizgariya Efrîné (HRE), (Forces de libération d’Afrine), est le plus récent de tous ces groupes insurgés. Son existence a été officialisée à la mi-décembre 2018 et a coïncidé avec la fin des attaques des YPG et le dramatique déclin de Ghadab al-Zaytoun. Contrairement aux autres, HRE utilise fréquemment des missiles guidés antichar (ATGM) dans ses attaques contre les cibles rebelles, tirant ces missiles depuis des positions contrôlées par le PYD dans la région de Shahba. Malgré l’inactivité des YPG et de GaZ, les 33 attaques menées depuis décembre 2018 par les HRE ont fait des deux derniers mois de l’insurrection les plus intenses depuis l’été.
Selon certaines spéculations, Ghadab al-Zaytoun et les Hêzên Rizgariya Efrîné seraient en réalités des faux groupes agissant pour le compte des YPG. Cette allégation se base sur les similarités que les trois groupes partagent au niveau de leurs zones d’opérations, de leurs tactiques et de leurs discours. Une possibilité que l’on comprend mieux en rappelant les relations entre les Aigles de la liberté du Kurdistan (TAK) et le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) en Turquie, le premier étant vu comme un faux-nez du second souvent utilisé pour frapper des civils tout en permettant au PKK de nier sa responsabilité.
Or, bien que les actions de Ghadab al-Zaytoun ont presque exclusivement frappé des militants, les exécutions filmées sont une méthode avec laquelle les YPG préféreraient probablement ne pas être associés. Les ressemblances de tactiques et de géographies donnent également plus de crédit à la théorie des groupes officieux. Cependant, il est impossible de donner une réponse définitive à ce sujet au vu du manque d’informations sur les leaders de chacun de ces groupes. Cette étude considérera donc les YPG, GaZ et les HRE comme des groupes ou filiales séparés afin d’examiner aussi bien les points communs que les différences entre leurs activités.
Mis à part la vallée centrale où se trouve la rivière Afrine, la région est parsemée de collines et de champs d’oliviers. Le canton d’Afrine est divisé en sept zones administratives, les trois plus peuplées étant celles d’Afrine, de Jandaris et de Rajo. La partie sud-est du canton, une extension rocheuse de la région de Jebel al-Simeon, est connue des locaux sous le nom de Sherawa. Il doit être noté que les localités sont souvent désignées sous de multiples appellations, et pas seulement lorsqu’elles sont traduites de l’arabe littéraire à l’anglais (et au français – ndt), mais également entre le dialecte kurde Kurmandji et l’arabe. Certaines villes ont des noms différents en kurde et en arabe, en raison de la politique d’arabisation lancée par le régime dans les années 70.
Étant le seul canton adjacent à la région de Shahba contrôlée par le PYD, le canton d’Afrine a été le terrain depuis mars d’une multitude d’actions de tous les groupes insurgés. La majorité de ces revendications sont intervenues dans la région de Sherawa, mettant en évidence une forte infiltration des insurgés venant de la région de Shahba. Si les HRE et les YPG ont maintenu un haut niveau d’action à Sherawa, soit 38% et 22% des revendications chacun, Ghadab al-Zaytoun a principalement opéré autour de Jandaris, Rajo, et de manière unique dans le territoire du Bouclier de l’Euphrate.
Depuis début décembre 2018, la zone d’action de l’insurrection a glissé vers l’est, mettant à nouveau en valeur l’importance de Sherawa. Alors que le canton d’Afrin et le territoire du Bouclier de l’Euphrate représentaient 53% du total des attaques revendiquées, ce pourcentage est passé à 70% courant décembre et janvier. L’augmentation de 20% des incidents dans le territoire du Bouclier de l’Euphrate n’est cependant pas dû à une augmentation des embuscades et des exécutions de Ghadab al-Zaytoun derrière les lignes ennemies. En fait, il s’agit plutôt de la montée en puissance des HRE, et particulièrement à leur utilisation des missiles guidés antichar sur la frontière entre Shahba et le territoire du Bouclier de l’Euphrate.
Dans un peu moins de la moitié des attaques revendiquées, les tactiques les plus fréquemment utilisées par les insurgés à Afrine sont les embuscades et l’utilisation d’engins explosifs improvisés. Les YPG, Ghadab al-Zaytoun et les Hêzên Rizgariya Efrîné utilisent souvent ces méthodes, sans qu’il soit possible de reconnaître des différences techniques ou géographiques entre leurs attaques.
Les engins explosifs improvisés sont utilisés en zones urbaines et rurales, ces dernières étant plus souvent documentées. Dans ces cas, l’engin est souvent placé au bord d’une route et déclenché à distance au passage d’un véhicule.
Les engins peuvent également être attachés à des voitures ou des motos garés près d’une cible immobile, comme l’a fait Ghadab al-Zaytoun à Afrine dans une récente attaque le 21/02/19. Ce type d’attaque est moins fréquemment filmé que les autres, mais dans de nombreux cas ces revendications sont corroborées par des reportages des médias rebelles.
Les groupes rebelles présents dans la région trouvent et désarment régulièrement de tels engins, publiant les images sur les réseaux sociaux. Du matériel utilisé pour la fabrication d’engins explosifs improvisés a été découvert dans ce qui semble être des caches d’armes des YPG.
Bien que beaucoup de ces attaques à l’IED surviennent dans la journée, les embuscades se font principalement durant la nuit. Généralement, un ou deux tireurs, équipés d’armes légères parfois équipées d’un silencieux, sont mobilisés. Un cameraman est également présent pour documenter l’attaque, les tireurs portant également des caméras fixés sur leurs casques.
Les insurgés tentent généralement d’abattre le conducteur et les occupants à distance, stoppant le véhicule avant d’approcher rapidement en filmant les victimes et souvent en sortant leurs corps. Un insurgé prend parfois le porte-feuille des victimes afin de dévoiler leurs cartes d’identité. Les vidéos commencent et terminent fréquemment avec une feuille de papier où est indiquée la date et le lieu de l’attaque face caméra pour authentification.
D’après ce qui peut être vu sur les armes utilisées dans ces attaques, il semble qu’elles soient de modèles et de fabrications standards facilement trouvables en Syrie. Cependant une observation plus poussée par un expert en armement pourrait potentiellement dévoiler des habitudes en équipements au sein des différents groupes. Il est actuellement impossible de savoir si l’insurrection s’équipe grâce à des stocks dans la région de Shahba, depuis le territoire des Forces démocratiques Syriennes (FDS, dominé par les YPG) à Manbij puis à travers les lignes du régime, où si l’armement est tout simplement livré par les forces du régime lui-même.
L’examen des tenues portées par les membres de la guerilla ne permet pas de tirer plus de conclusions. En septembre, dans une vidéo des YPG tournées au nord d’Afrine, le militant (ci-dessus) porte un treillis MARPAT communément utilisé par les YPG, alors que dans une vidéo filmée en août dans le territoire du Bouclier de l’Euphrate, le tireur de Ghadab al-Zaytoun est entièrement habillé en noir et en civil. Il est difficile de savoir si ces différences sont dues aux lieux des attaques, ou au groupe, et la faible définition de la plupart des vidéos complique l’étude de ces éléments.
Grâce aux médias rebelles il est possible d’accéder à plusieurs images montrant ce que des insurgés tués à Afrine portaient sur eux, ainsi que ce que contenaient les caches d’armes retrouvées dans la zone. La première image a été prise dans la région de Sherawa, début octobre, et montre probablement ce que transportaient des insurgés infiltrés depuis Shahba : des chargeurs et des munitions, des grenades, des équipements de vidéos et de surveillance, des téléphones, des batteries, des boîtes de conserve et du tabac. L’image de la cache d’armes, découverte un mois plus tôt, montre d’autres objets similaires, ainsi que ce qui semble être du matériel pour fabriquer des engins explosifs improvisés.
L’insurrection d’Afrine a gagné en notoriété avec la diffusion de vidéos d’exécutions. Des trois groupes observés ici, seul Ghadab al-Zaytoun s’est engagé sur cette voie. Les exécutions représentent 27% des revendications de GaZ, soit 7% du total des revendications insurgées.
La première de ces vidéos a été publiée le 5 août, montrant l’exécution d’un civil nommé Akash Haji Ahmed. GaZ l’a identifié comme un membre du conseil local de Sharran alors nouvellement formé, une institution soutenue par la Turquie administrant l’un des sous-cantons d’Afrine. Le texte accompagnant la vidéo l’accuse de servir de «guide» aux forces armées soutenues par Ankara, aidant au «kidnapping de dizaines de civils d’Afrine dont le sort est inconnu», ainsi que d’avoir envoyé des lettres à des natifs d’Afrine qui ont fui en mars dernier, les avertissant de «ne pas revenir dans leurs maisons». Alors qu’il roulait à moto, Akash a été arrêté par des hommes masqués tenant un faux checkpoint rebelle. Il a ensuite été forcé de descendre de sa moto, amené dans les bois, et abattu d’une balle dans la poitrine.
Depuis la publication de cette vidéo, 15 autres exécutions ont été revendiquées par GaZ. Deux victimes, Ahmad Zakaria al-Muhammad et Muhannad Zeer, étaient des civils accusés d’être des informateurs pour les autorités turques. Les autres auraient été des membres de différentes factions rebelles soutenues par Ankara et ont été capturé à Afrine ou ailleurs avant d’être interrogés puis exécutés. Ghadab al-Zaytoun a également revendiqué «l’assassinat» de deux membres de la prétendue police libre, une autre institution de gouvernance soutenue par la Turquie. Il est cependant impossible de savoir s’ils avaient été kidnappés, seules les images de leurs corps ayant été diffusées.
L’utilisation de missiles guidés antichar (ATGM) dans les attaques contre les factions rebelles soutenues par la Turquie est un phénomène plus récent. Dans sa défense d’Afrine durant l’opération Rameau d’olivier, le centre médiatique des YPG a publié pas moins de soixante vidéos d’utilisation de ces missiles. Cependant, l’usage d’ATGM dans le canton n’avait pas été documenté jusqu’au 26 novembre 2018 avec l’attaque d’un camion blanc dans la ville de Bassouta, dans la région de Sherawa. Depuis, les YPG ont tiré deux autres missiles, toujours dans la région de Sherawa. L’une de ces attaques, ciblant un véhicule à Kimare le 13 décembre 2018 correspond avec l’annonce de la mort d’un soldat turc dans cette zone.
Depuis sa formation à la mi-décembre, Hêzên Rizgariya Efrîné a documenté six tirs de missiles. Quatre, lancés depuis la région de Shahba, ont ciblé des véhicules et des positions situés dans le territoire du Bouclier de l’Euphrate. Bien qu’aucune vidéo ne montre les armes utilisées, il semble que la majorité soient de fabrication russe et issus des stocks du régime, soit vendues ou données aux YPG à Afrine par le régime, soit capturées puis vendues par les rebelles au fil des années.
Il est difficile de savoir si cette nouvelle tactique est un résultat des tensions grandissantes avec la Turquie à propos du futur de Manbij et des régions à l’est de l’Euphrate ou à un succès au moins symbolique de la Turquie à limiter la zone d’action de l’insurrection à l’intérieur d’Afrine au cours des mois d’octobre et de novembre. En tout cas, cela correspond à une récente augmentation des escarmouches entre les YPG dans la région de Shahba et les forces armées turques postées autour de la ville de Mare.
Une analyse de l’activité sur les réseaux sociaux de ces trois groupes est révélatrice du public que chacun semble cibler. Les comptes Twitter des YPG et des Hêzên Rizgariya Efrîné (@DefenseUnits, @HRE_official) publient en anglais, comme pour la plupart des légendes de leurs vidéos. Quand les deux groupes diffusent leurs publications, elles sont formatées de la même manière et publiées séparément en anglais, en arabe, en kurmandji (kurde) et en turc. Les YPG et les HRE chercheraient ainsi à attirer l’attention d’un public occidental et anglophone actif sur Twitter.
Cela contraste avec la façon de faire de Ghadab al-Zaytoun sur les réseaux sociaux. Le site web de GaZ et les vidéos qui y sont publiées sont entièrement en arabe. Les nouvelles d’opérations récentes sont annoncées au milieu de diatribes attaquant la Turquie, ses forces armées, et leurs collaborateurs tout en mettant en lumière la justesse de la cause du groupe. Ghadab al-Zaytoun semble ainsi vouloir toucher le public d’Afrine, aussi bien leurs sympathisants que leurs ennemis. L’imagerie et la musique macabre de leurs vidéos apparaît d’ailleurs comme une volonté d’intimider les combattants ennemis et leurs potentiels informateurs.
Estimer le nombre de victimes causées par l’insurrection à Afrine est difficile en raison de l’opacité des informations mentionnée ci-dessus et de la documentation incomplète des activités de guérilla. La Turquie et les groupes rebelles locaux ont tout intérêt à minimiser la capacité de nuisance de l’insurrection, tout comme il semble que les YPG aient au contraire exagéré leurs succès.
Plusieurs soldats turcs ont été tués à Afrine depuis mars 2018. Les YPG ont revendiqué la responsabilité de chacun de ces morts, tandis que le gouvernement turc les a souvent attribués à des opérations de déminages. Le nombre de combattants rebelles déclarés «martyrs» par leurs factions respectives se compte en dizaine, alors que les pertes que les YPG déclarent avoir infligé à l’ennemi sont astronomiques. Étant donné qu’il y a eu plus d’une centaine d’attaque avec des preuves visuelles, parmi lesquelles de nombreux cadavres (au moins 48 en octobre), et en y ajoutant les nombreux attentats et fusillades non revendiquées, il paraît prudent d’estimer que plus d’une centaine de rebelles ont été tués, avec des dizaines de véhicules endommagés ou détruits.
L’agence de presse des YPG a annoncé 44 «martyrs» tués à Afrine où ses environs depuis le 18 mars. Parmis eux, 28 sont morts dans les trois semaines qui ont suivies, alors que les combats continuaient à Sherawa et dans le plateau central forestier et isolé d’Afrine, pas totalement contrôlé par les factions rebelles à ce moment là.
Si l’on soustrait ce nombre aux tués pendant l’insurrection, seize morts sont confirmées, ce qui représente un nombre de victimes remarquablement faible pour dix mois d’activité. Beaucoup de ces avis de “martyr” sont corroborés par les rapports rebelles et turcs d’opérations de contre-insurrection et d’accrochages aux frontières, souvent accompagnés par des images des combattants tués. Le nombre total des YPG tués est probablement un peu plus important car les YPG annoncent bien régulièrement leurs «martyrs» mais le font généralement avec du retard. Les groupes rebelles affirment pour leur part avoir appréhendé environ dix insurgés YPG, mais un seul de ces cas a été confirmé par un communiqué de presse des YPG.
De ces trois groupes, seul Ghadab al-Zaytoun a reconnu avoir mené des attaques ayant tué des civils. Le premier incident de ce type est l’explosion d’une voiture piégée déclenchée au Souq al-Hal (Marché de Cardamome) à l’est d’Afrine le 16 décembre. GaZ a déclaré avoir pris pour cible une patrouille de combattants du groupe rebelle al-Jabha al-Shamiya qui passait par là, et dont le quartier général était sensé se trouver à proximité du marché.
Le communiqué déclare qu’«au moins 25 mercenaires et colonisateurs» ont été tués dans l’attaque. Par « colonisateurs » Ghadab al-Zaytoun fait référence aux déplacés arrivés récemment depuis le sud de la Syrie. Ils avaient pu fuir vers le nord suite à des négociations entre le régime et les rebelles. La Turquie avait alors choisi de les installer pour la plupart à Afrine, ce qui a été vu par certains comme une stratégie de remplacement démographique afin de diluer le caractère kurde de la région.
D’après des reportages de médias locaux, neuf personnes ont été tuées et 13 blessées. La part des combattants et des civils parmi les victimes est inconnue mais la vidéo tournée juste après l’explosion montre qu’elle a eu un effet dévastateur sur une partie du marché.
Les groupes insurgés ont revendiqués 21 attaques au cours du mois de février, un nombre en baisse par rapport à décembre et janvier, mais qui reste dans la moyenne des 23 attaques par mois. Moins de la moitié de ces attaques ont été documentées ou corroborées. Malgré tout, une attaque à l’engin explosif improvisé contre un checkpoint de «police militaire» à l’extérieur d’al-Ra’i le 12 février et l’explosion d’une voiture piégée à Afrine le 21 , deux attaques revendiquées par Ghadab al-Zaytoun, démontrent la capacité d’action que possède toujours l’insurrection.
Bien que les modèles de comportement ont changé – la campagne des YPG a cessé depuis décembre, Ghadab al-Zaytoun a abandonné d’anciennes tactiques au profit des voitures et motos piégées, et les tirs de missiles guidés antichar ont remplacé les exécutions comme moyen pour attirer l’attention – les attaques insurgées ne semblent pas près de s’arrêter. Si l’on prend en compte la longue animosité entre le PYD et la Turquie, les violations des droits de l’homme, le manque général de sécurité à Afrine, le faible nombre de pertes dans les rangs insurgés, et aucun processus de paix nationale en vue, il y a peu de raisons de prévoir un changement dans un futur proche.
Les données collectées pour cet article, couvrant la période de mars 2018 à janvier 2019, sont disponibles ici.
Mise à jour : Il a été porté à mon attention par l’utilisateur de twitter @ddsgf9876 qu’il y a au moins 2 cas d’utilisation par les YPG d’anciennes images d’attaques rebelles (un tir de missile à Sharran le 15/12/18 ATGM et le 12/8/19 IED à Bulbul), présentées comme étant les leurs. Un examen plus approfondi sur l’authenticité des vidéos publiées par les YPG de début à mi-décembre est en cours. Le tableur ci-dessus a été mis-à-jour avec les fausses attaques indiquées en rouge.
Un article d’Alexander McKeever traduit par Syrie Factuel